Elysée Montmartre, Paris, 9 décembre 1999. L’histoire Thugs prend fin ici, ou presque puisque l’ultime concert de la clique angevine, à la Roche sur Yon le 18 du même mois, précède un bref mais mémorable No Reform Tour, en 2008. Tout doit disparaitre, titrait d’ailleurs l’ultime galette des frères Sourice et consorts, mais il y a deux choses qui, dans nos caboches abasourdies par les scènes du groupe, survivront et perdureront: la constante qualité de ses albums, d’une part. Et d’autre part son impact live, bien évidemment, qu’illustre parfaitement ce disque qui, après une sortie numérique en novembre 2020, bénéficie d’une édition physique qu’il importe d’acquérir. Alors un tel document, même amputé de deux titres et de son premier rappel, endommagés sur l’enregistrement d’origine, ça s’écoute fort. Et très souvent. C’est un best-of incandescent, fort de vingt et un titres mythiques, que le fidèle Tesh a pris soin d’enregistrer et de masteriser. Un embryon de best-of, devrais-je plutôt dire, au vu de la charrette de morceaux phares signés des Thugs. Le meilleur des supports à la sortie de Radical History, bio écrite par Patrick Foulhoux, que l’intro mythique amorce avec ses chants tribaux avant que ne retentisse Your kind of freedom. « Bonsoir on s’appelle Les Thugs on vient d’Angers. A kind of freedom! », lance Eric. Joué vite et de manière compacte, « Your kind of song we don’t refuse », serai-je tenté d’asséner, voilà un premier standard illustrateur de la tension Thugs. Suivi par Gone et ses airs pop, magnifique. Les Thugs, on le sait, aiment le vite et fort. Mais mélodiquement, ils excellent tout autant autant. Ca explique sûrement, en partie, l’attrait définitif de chacune de leurs parutions. Never work anymore, intense et rapide, riffant en diable, puis The river, joliment tempéré, venant asseoir la suprématie d’un gang As happy as possible sur un ton mélodieux merveilleux. On y est, il y a là tout ce qu’il faut pour faire succomber les foules.
Les Thugs bercent et bastonnent, il font l’un aussi bien que l’autre. Good way, aérien mais bien sonique, élargit encore le panel. Entre rock, punk-rock, noise, pop et sucreries dreamy, tendance au frontal et aptitude à la mélopée, on tient l’une des figures de proue du rock d’ici. I’m just kidding ne…rigole pas, fonceur et puissant. Quant aux trames des guitares, au chant remonté d’Eric Sourice, à l’union d’une rythmique qui tronçonne, on en connait, depuis belle lurette, la portée. Femme fatale, comme si ça ne suffisait pas, remet un coup de bélier. Partis à l’attaque, les Thugs ont d’imbattables arguments à faire valoir. Mio mio, au mitan d’une cadence qui court et de motifs charmeurs, fait trembler encore un peu plus les murs parisiens. Lost in the suburbs, son énergie punk sur chant poppy, complètant une première partie de set déjà bluffante.
On trouve de plus, au fil du concert, des morceaux de tous les albums. Le répertoire est plus que solide, au delà du consistant. And he kept on whistling, à la basse reptilienne qu’une batterie folle accompagne, et ses sifflements guillerets, (me) font chavirer. I was dreaming, d’une pop-rock mélodico-nerveuse, précède A chance qui lui aussi, fait valoir des atours pop passés à l’énergie Thugs. Waiting, l’une de mes -nombreuses- préférées, sonne comme un hymne. Ca valait bien la peine d’attendre, en effet, pour tirer profit d’une telle composition, transcendée par le live. Je défie d’ailleurs quiconque, à l’écoute, de dénicher un morceau ne serait-ce que « moyen ». Ta lala,lalala,lala…, font les six-cordes, superbes. Side by side, du même tonneau rock mélodique et impétueux, renforce l’addiction. Les Thugs sont, par chez nous et partout où ils ont joué, une institution. Une référence, indé et intègre jusqu’au bout des cordes. Scared, saccadé, charmant de par ses sons mais acéré et doté d’un chant affirmé secondé par des choeurs (une -magnifique- constante au sein du groupe), laisse place à la superbe cover des Dead Kennedys; ce Moon over Marin subtil, enchanteur. Ca ramone sévère, certes, mais le chant est sensible.
C’est l’enchantement, dans mon esprit comme dans les vôtres ces gars-là ont laissé des traces indélébiles. I need you, nous disent-ils au moment d’amorcer la dernière ligne droite. Le constat est réciproque, le titre en question est une offensive punk-rock sans atermoiements. I love you so, quoi de plus beau que cette chanson resplendissante, a du en faire larmoyer plus d’un tout en nous faisant chantonner et tournoyer. Magique. Les yeux se mouillent, c’est tout un pan de ma jeunesse qui refait surface. I love them so…quand, dans leur airs doucereux, ils insufflent des plans noisy de folie. A la Thugs.
Pour l’ultime virée ou presque, nous attend une Brand New Cadillac. Vince Taylor donc, preuve de bon goût et reprise maison évidemment: pied au plancher, rentre-dedans, maîtrisée. Je m’en remets à peine que Little Vera’s song, son amorce dingue, son break envoûtant, font péter un final magistral. Democracy is like a friendly cop, comme inscrit sur l’un de mes deux t-shirts du groupe. Un morceau bouillonnant, enflammé, psyché dans la répétition de ses motifs. C’est fini, ça passe vite avec nos amis d’Angers. Sans temps morts, sans creux ni faiblesses, ils font corps. Entre eux, avec leurs instruments, avec l’assemblée. Dans nos coeurs, ils sont éternels et indélogeables.
A l’issue de ce Live Paris 1999 on ressortira, derechef, nos collections d’albums pour s’enivrer, tout en se rappelant les concerts vécus, d’une suite de disques de haute volée comme l’est ce digipack sobre et percutant. Ca sera aussi l’occasion, s’agissant de ce label incontournable qu’est Nineteen Something, d’en visiter le catalogue, entrée rééditions et ouvrages actuels, pour s’en mettre plein la truelle. Là aussi, le plaisir est garanti et le passage s’avérera très largement profitable.
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