Projet musical de l’artiste Suisse Augustin Rebetez, au chant, de pair avec Pascal Lopinat à la batterie, Gängstgäng s’inscrit à contre-courant et pratique -messieurs les amoureux du son innovant et enragé mais aussi subtil et grinçant, c’est pour vous- un son qui ne sort d’aucun rayon, brillamment illustré par une grosse dizaine de titres conçus entre Buenos Aires et la campagne suisse profonde. Scories rap, chant délirants mais dotés de sens, fond obscur et créatif, syncopes rythmiques se télescopent, Administrition initie la déjante traprap en la nacrant de vocaux déraisonnables et déraisonnnés. Sans plus attendre le duo, aidé ici par Ida Friis, Zoë et Anklature au mic, impose un genre qu’avant son apparition, on avait peu ou prou entendu. Livraison de rapaces, à la fois lunaire dans le décor et batailleur dans le chant, confirme l’option frappée voulue par l’assemblée de malfaiteurs sonores, et verbaux, qui n’ont de cesse de créer des climats saisissants, angoissants, inquiétants et révoltants dans ce qu’ils insinuent. Sabotage se pare de sons vrillés, de textes amers et offensifs. La poésie brisée de Juste ça (feat. Zoë), son hip-hop enfumé et ses sons sortis du noir font mouche. Raniscnacr, entre bourrage noise et rythme asséné, creuse l’écart. Avec la norme, avec les poursuivants.
A son terme, Les poubelles poursuit l’errance, chante lascivement le désenchantement. Soniquement, il ne dit pas son nom. Normal, on est ici dans des sphères à part, dans un champ musical dont Gängstgäng détient les clés. Un terrain de jeu bruyant (Najalouk Makazach) et attachant à l’extrême, expérimental, qu’il faudra explorer à maintes reprises pour en extraire tout le jus. Douceur viciée et bruitisme pur, chants de rage et incrustes lyriques (Sombre sucre) voisinent, sons sales et trouées de lumière également.
Les tambours d’Uppercut mystique, sa voix et ses mots dénonciateurs, sa cadence qui s’emporte à l’unisson avec les vocaux, réinstaure une folie qu’on aime à entendre, semblable à nulle autre, bienfaisante de par son refus de se plier. Au monde, à son étau. En cela, Primitive rap and shamanic dirty sabotage from swiss Jura est une bouffé d’air frais, tel celui des hauteurs jurassiennes, qui émane d’une mixture sans concessions. Crasse crasse (feat. Dubuk) referme la trappe (trap?) d’une musique sans égal, puissante autant que lancinante. Un antidote. Un support à l’insurrection, pas si « primitive » que son intitulé pourrait le laisser présager. Dernier wagon en amorce la dernière salve en alliant humour corrosif, psychédélisme leste, bruits bruts et verbe désabusé. Gängstgäng est précieux, il enfante un style qu’aucun autre ne peut réitérer.
Fucture, lent et pesant, indus et linéaire mais irrémédiablement intrigant, captivant, conclut avec la même attitude désaxée que le reste de l’opus. On y reviendra avec une curiosité décuplée par des morceaux qui, suivant des auditions insistantes, dévoileront tout leur pouvoir d’attraction. Entre jeu sur les contraires et sans contraintes, avec l’apport de « guests » aux venues notables, Gängstgäng fait dans le songeur, dans l’excessif, dans le dérangé. Le tout sans jamais rallier une ligne – de conduite- un tant soit peu droite et normée. Au bout du compte, on en tire un disque exigeant, réservé à l’auditeur aux oreilles aguerries et à l’esprit ouvert. Un ouvrage audacieux, aux effets durables sur la psyché, qui après avoir déstabilisé son monde lui offre un refuge sonore de choix.
On saluera donc l’initiative des trois labels impliqués, eux aussi libres d’action, et la teneur addictive, une fois maîtrisée, de ce Primitive rap and shamanic dirty sabotage from swiss Jura aussi urbain que montagnard, aussi intense que minimal, dans ce qu’il renvoie. Excellente cuvée donc, d’une liqueur du Jura Suisse à ne pas mettre dans tous les godets. En tant que convertis au son qui diffère, nous tendons avidement le notre, désireux d’avaler une énième goulée de l’élixir concocté par les deux hommes aux écarts géniaux-tarés.
Bandcamp Jelodanti Records / Site Burning Sound / Bandcamp L’Axe du Mal