Scenius est un duo franco-anglais composé du producteur Steve Whitfield (The Cure, The Mission, Yann Tiersen…) et de l’angevin Fabrice Nau au chant, tous deux fans de synthés vintage et de vieilles boîtes-à-rythmes. A deux et autonomes, ils en font bon usage et s’appuient sur leurs sonorités pour élaborer une électro-pop sombre, mélancolique, aux sources passées mais dotée d’un son plus en phase avec l’âpre époque que nous traversons. A leur endroit, on avance les noms de Depeche Mode, Brian Eno, Kraftwerk ou encore OMD. Il y a de ça certes, l’écoute n’infirme pas le constat. Mais de ces influences prétendues, Scenius suit ses propres courbes, trace et peaufine sa propre trajectoire. Il instaure d’emblée, au son d’un Make It Shiny obscurément mélodique, des climats où il fait bon se « paumer ». Des sonorités, comme prévues, un tantinet déviantes jalonnent le titre, qui se pare d’élans mélodiques qui, eux, me font penser à New Order. L’entrée en matière promet, attention toutefois au « coup de mou » que bon nombre d’albums, après un début de valeur, font ensuite paraitre. Some Of Your Nights et son électro-pop-cold rassure, il fait dans la simplicité et recourt à un étayage à nouveau inspiré. On a la sagesse, ici, de s’en tenir à l’essentiel.
Wild & Wooly, aux sons de basse charnels, dépayse un peu. Scenius applique une méthode qui requiert tout à la fois songerie, plans enlevés, traits de lumière et mélodies, recoins dark et bruits malins. Less Than Dreams est cosmique, ses synthés, cependant, le zèbrent de pulsions froides. On est là dans les contrastes, bien calculés. Des syncopes arrivent, portant le morceau vers des sphères dansantes. Le titre éponyme embrasse des formes trip-hop, on a droit à une voix sensible, à des sons qui font là aussi leur effet. S’il a déjà été prouvé, par le passé, qu’on pouvait faire du bon, de l’accompli, sans organique, Scenius appuie indéniablement le propos. Held pose des bases spatiales, psychotropes, sans dénoter.
Les deux acolytes ont les oreilles ouvertes, l’esprit large et le rendu accessible. Passé cette composition nébuleuse, Superposés dévoile des « lyrics » en Français, qui tout en trouvant leur place confirment le côté très « franglais » du disque. Une union juste, à parts égales, que la dite chanson flanque d’une nouvelle épopée concluante. On en vient alors à Cookie Cutter, également perché mais fort d’un allant plus affirmé. Scenius est bon quand il hausse le ton, tout autant quand il touche au plus intime. Ses boucles plairont, ses formes séduiront. Like Our Bones pulse tout en restant « dans le ciel », c’est une constante au sein de la paire. En amoureux des machines, Whitfield et Nau en extraient le meilleur. Ils pourraient tout de même, à l’occasion, s’adonner à des passages plus osés, j’entends par là plus bruitistes, plus hérissés. Le résultat n’en souffrirait pas, bien au contraire. Mais profitons de la fin d’album, avec tout d’abord Stark Relief et son doux relief. Puis, en guise de cadeau de départ, ce Darkest Lines vivace. Une conclusion rythmée, aux sons prenants, qui valide les aptitudes de Scenius.
Sans révolutionner le genre, mais en se montrant fiable dans son registre de préférence, Scenius signe donc une belle missive musicale, confirmée par une grosse dizaine de titres sans défauts rédhibitoires. Premier long jet abouti, à l’arrivée, pour un projet dont je reste persuadé qu’à l’avenir, il peut se fendre d’un contenu plus audacieux encore, émaillé d’écarts acides et plans dérangés qui le porteraient à un niveau plus élevé encore.