Cheap Wine, c’est une clique d’isariens qui un beau jour ont chuté dans la fumante marmite 70’s pour ne plus jamais s’en extirper. Tant mieux, on leur aurait replongé la gueule dedans. Parce que c’est là qu’ils sont chez eux, sur leur terrain. Sur scène, ils embrasent et instaurent un voyage perché/pêchu, aux planeries et flâneries que des élans percutants viennent dézinguer. Sur disque ça diffère à peine, sauf que tu les as pas dans ton champ de vision. Mais il te reste, divin et possédé, leur son. Sur ce point, ce Schrödinger’s Pipe aux effets psychotropes certains est la troisième sortie du clan, uni. On a le sentiment, en poussant le play, que tout y est décuplé alors qu’avant, déjà, c’était du solide. Les compositions, le son, la succession entre les climats, la fluidité du rendu. Ca n’étonnera personne, ces gaillards là allient talent et coeur à l’ouvrage, en passionnés qui connaissent leur partition et se fendent depuis de longues années d’un répertoire assuré. Quand le titre éponyme retentit, le sextet impose sa musicalité. La subtilité de l’instrumentation, gentiment agitée, fait sensation. Dans une lente montée, jusqu’à atteindre une terminaison flamboyante, la patte Cheap Wine se pose. Ses griffes, à l’occasion de Tears Come Down From The Sky, se referment sur l’épiderme de l’assemblée. Offensif certes, mais ouvragé, le morceau voit chant et instruments copuler, dans une orgie sonore dont les adeptes du vin bon marché ont le secret.
Pour le coup, c’est un grand cru qu’ils nous dégottent. Ca se boit, certes, jusqu’à l’ivresse. Mais ça se déguste, comme l’exige Réponse Des Cosaques Zaporogues. Car Cheap Wine, en l’occurrence, se montre immersif. Matthieu Devillers y dévoile son spectre vocal, étendu. A ses côtés, on ferraille avec panache. Valentin Lallart: bass, violin, backing vocals; Antoine Galvani: piano, rhodes, organ, backing vocals; Louis Morati: drums; Clément Prioul: organ et Valentin Contestin: lead guitar, backing vocals font dans l’union. Personne, dans cette troupe, ne s’écarte du souci mutuel: se mettre au service de l’ensemble. L’usage du Français, sur le dit morceau, amène un plus là où d’autres se seraient vautrés. Sermo Metaphysicum Pro Modico Empiricismum, après Careful With That Spoon, assure un interlude racé. J’ai mis du temps, ce Schrödinger’s Pipe, à l’investir. Il est riche, un soupçon sinueux. Mais j’y suis, le délié fougueux de Confusion m’y retient d’ailleurs. Cheap Wine a la mainmise, continuelle, sur ses créations. La chanson livre une envolée instrumentale merveilleuse, superbement jouée, jamais flambeuse. La fin du morceau laisse libre cours aux vocaux associés, en symbiose avec le reste.
Sheep, à l’issue, suit un tracé plus direct, plus ouvertement mordant. Ca commençait, presque, à manquer. Dans l’option, Cheap Wine est autant à son affaire que dans le nuancé. La largesse de son panel l’amène à rougeoyer, à flamboyer, dans une élégance bluffante qui se modère, s’emballe, ou l’inverse, et fait constamment mouche. Un collectif, voilà à quoi s’apparente le projet. Un équipe soudée, dont on sait qu’à chaque venue elle raflera la mise. Chapeau bas messieurs, ce Sheep galope, pulse et breake comme à la parade. Je ne sais plus, parmi les instruments qui y vont de leur incartade décisive, lequel distinguer. On optera pour l’ensemble, c’est de toute façon sous cet angle que les acolytes envisagent leur labeur. Journey With Charron fait le lien, d’un folk d’époque, avec la fin des réjouissances. Alors I Don’t Have Anything Left riffe dur, ses orgues giclent et sa rage à la belle gueule explose. Dans la tempérance, un brin moins frontal que par le passé -c’est, tout au moins, mon impression-, Cheap Wine excelle. Plus pensé peut-être, c’est à dire moins impulsif, Schrödinger’s Pipe lui fait franchir un palier supplémentaire. Sur son terme, la chanson trace et brusquement, prend fin.
On y est donc, le temps passe vite quand le produit est bon. C’est Acid love, aux effluves retenues, qui se charge de finir le devoir. Un sans fautes, élevé, d’une qualité durable. L’encart enflammé survient, magnifique. Cheap Wine se débat avec les genres, fait preuve de style et assure un amalgame de tout premier ordre. On n’a pas fini, ce Schrödinger’s Pipe où les copains sont eux aussi venus bosser avec efficience (je cite, pour le plaisir et parce qu’ils le méritent, les « special guests »: Arthur Henn: double bass/Francesco Mantione: congas/Antoine Gellée: backing vocals), le « recording » étant assuré par Camille Henry – Le Multipiste, le mix par Michel Lothe, le mastering par Olivier Vasseur alors que l’artwork échoit à Big’Al et le logo à Justine Figueiredo. Une affaire de famille musicale, en somme, avec à la clé un disque de haute volée, nourri et renforcé par la complicité entre ses géniteurs.