Groupes de dingues de chez Dur et Doux (ça pourrait bien le définir, ça: Dur et Doux, mais ça ne suffirait pas), Le Grand Sbam avait déjà semé une putain de pagaille avec Vaisseau monde (décembre 2019), chroniqué dans ce webzine. Le bazar partait dans tous les sens, se cognait aux murs, laissait filtrer des chants lyriques d’internés et nous égarait dans ses méandres…jusqu’à nous captiver. Il a fallu du temps pour s’en remettre, le choc est encaissé mais déjà, les joyeux drilles revinent à la charge. L’attaque s’appelle Furvent, elle part à la rencontre du vent et des éléments naturels et a pour base La horde du contrevent, roman d’Alain Damasio, ainsi que la symbolique du Yi King. Allez comprendre…pour ma part je m’en tamponne, le plus simple étant de se laisser dézinguer la santé mentale au son, par exemple, de La trace qui ouvre les festivités sur plus de vingt minutes indéfinissables. Et qui en laisse, des traces. On s’y attendait, et c’est sur ce terrain qu’ils sont les meilleurs. La route toute droite, pas pour eux. Ici, on met des grands coup de volant. On joue un truc jazz versatile, on pose des coups de bélier, on place des zones d’ombre, on sait où on va mais on a l’air de ne rien avoir planifié.
Je vais encore peiner à décrire le rendu, pourtant il mérite très largement quelques lignes, fussent-elles tirées par les cheveux. Allez, c’est reparti. Pas moyen d’être tranquille. Nephèsh sobre dans l’écart vocal. Associé à des sorties de route sonores, ça fait le charme d’un album aussi mélodieux, dans le tordu, que doté d’élans vigoureux. On en appelle à des voix aux consonances nippones (Yi Yin I Tchen (Le tonnerre)): la sauvage musicalité de Furvent, ses chants changeants et ambiances tourneboulées perturbent nos sens. Yi Yin I Souen (Le vent), à l’image de la chanson qui le précède, réduit sensiblement la durée mais aucunement sa folie. Sa rage est belle, sa beauté rageuse. Yi Yin I Li (Le feu) pose des secousses récurrentes, que ses vocaux frappés surlignent. A moins que ça ne soit le contraire, je n’sais plus. Suis perdu…
Mais je reste, comme quand je découvre un foutoir qui vaut l’détour, dans le match. C’est Le feu, c’est sûr, et personne ne cherchera à l’atténuer. Il faut le laisser prendre. Et s’y laisser prendre. Yi Yin I K’ouen (La terre) et ses spirales de sons, ses chants d’homme frappé de démence se heurte à la glissière de sécurité. Un premier tonneau (dont on ne connait pas la teneur), un deuxième et Le Grand Sbam retrouve le bitume. Yi Yin I Touei (Le lac) nage en eaux troubles, on va couler!…mais il retombe ou plutôt, surnage. C’est pas pour autant qu’on retrouve la raison. On aurait tort! Yi Yin I K’ien (Le ciel), malgré son nom, n’éclaircit certainement pas l’horizon. Les nuages s’installent, la pluie dégringole, nourrie ou plus modérée. Pluie de sons, pluie de rythmes. Pas la peine de courir à l’abri, on est trempé. C’est Le Grand Sbam, son Furvent est Fervent. Il en renverra certains dans leurs pénates, découragés. Mais les plus curieux, par conséquent les moins rangés, y trouveront leur compte.
Du coup Yi Yin I Kan (L’eau) s’affole, un constat s’impose alors: au sein de ce groupe, on est chez des Doux Fous. Des Foux Doux aussi, qui ont pommé leur gouvernail et se sont fait sucrer le permis. Malgré ça ils prennent la route ou embarquent, la destination n’est certes pas connue mais le trip est de taille. Yi Yin I Ken (La montagne) grimpe à la corde, l’ascension est périlleuse. Et Sbam!, il perd l’équilibre (que peut-être il n’a jamais eu). Ah non, il reste suspendu. Il prend ombrage, il fait rage. Ses sons se cassent la gueule le long de la roche. Ses voix font le parachute, ses bourrades noise lyriques amortissent une chute qui parait rude. L’alpiniste se redresse, « l’alpiniste reprend son souffle », dirait Maman Küsters. Choon Choon chante sa survie, en unissant les voix. A côté du reste, il parait presque normal. Mais non.
Un moment donné, il dévie, gentiment. Il prend des airs slaves, dirait-on. Un peu suaves aussi, mais pas trop. Le (grand) huit du Rhône, où l’on trouve Antoine Arnera | Piano, electronics, voice, composition; Boris Cassone I Bass, mellotron, voice; Jessica Martin Maresco I Voice; Guilhem Meier | Drums, amplified percussion, voice, composition; Marie Nachury I Voice; Grégoire Ternois I Marimba, toms, dun dun bells, gong; Mihaï Trestian I Cimbalom et Anne Quillier I moog, rhodes, voice, dans un collectif ahurissant, déchaine les éléments et trousse un disque, encore une fois, surprenant et libre de ton. Un opus exigeant et enivrant qu’il est bon de suivre, si on y parvient, dans les nombreux virages qui parsèment sa route.