Composé de membres de Darko ou encore de La Maison Tellier, Animal Triste revient, au micro de Muzzart, sur sa genèse et sur son album, éponyme, à sortir le 4 décembre prochain…
1) Qu’est-ce qui vous a poussés à vous émanciper de vos formations d’origine -Darko et La Maison Tellier, donc- pour former Animal Triste ?
L’envie commune de jouer tous ensemble. Ce groupe, c’est avant tout une histoire humaine, sans calculs ni stratégies. Les chansons sont d’abord nées d’une volonté de faire de la musique pour le plaisir de retrouver le local, les amis, les discussions nocturnes autour d’un décapsuleur.
Nous sommes tous des enfants du rock, le terme semble galvaudé aujourd’hui mais pour nous il est précieux, et on avait envie de rendre au rock ce qu’il nous avait donné en nous faisant plaisir, sans contraintes.
2) Ce groupe a t-il vu le jour dans une approche stylistique précise ? Que reflète son nom ?
Vu nos « backgrounds » et nos références culturelles, c’est sincèrement difficile de se sentir en phase avec la musique actuelle, mais l’écueil du » c’était mieux avant » est un piège dans lequel il ne faut surtout pas tomber! Sinon, tu perds toute curiosité et tu te retrouves à jouer du Black Keys à la Fête de la Musique en étant persuadé d’être le seul à avoir raison.
Donc non, pas d’approche stylistique réelle mais l’envie de repartir de ce qui nous a tous construits – le rock, le plaisir de jouer, l’imprudence qui va avec – et de regarder devant nous la tête haute. Le nom va d’ailleurs avec l’idée même de la place de la musique vivante et amplifiée d’aujourd’hui. L’animalité, la spontanéité, la part organique de la musique est cachée sous le tapis. C’est triste.
3) Comment votre album a t-il été enregistré ? A six, ne rencontre t-on pas des soucis pour s’accorder sur la marche à suivre, la coloration à donner et ce genre de choses?
Dans Animal Triste tout est fluide, et comme ce projet ne doit être – et n’est – que joie pour nous, il fallait que ce soit de même avec les gens qui nous entourent. Dans la composition on se fait tous confiance, si on est là ensemble c’est parce qu’on s’aime, qu’on se coopte, chaque proposition est forcément la bonne puisqu’on à fait un pacte de sang.
Pour ce qui est de l’album, nos potes ont du talent; on a donc choisi de s’entourer d’eux. Enregistrer avec David Fontaine était le choix le plus logique, le plus sain pour nous. C’est un ami cher, notre « Steve Albini » normand : il oeuvre pour la survie du rock depuis toujours, sans compromis et sans nostalgie, il avance pour le bien des choses. C’est pareil pour Etienne Caylou, qui a mixé. Il est d’une autre génération, plus jeune avec d’autres références mais pour autant, c’est un enfant de l’electricité, qui avait aussi envie de ne pas faire de musique en plastique. Leonard Titus s’est occupé de la pochette: c’est un ami fort, musicien, fabriquant de skates, en phase avec ce qu’on est, ce qu’on fait. C’est pareil avec le label/tourneur M2l, des personnes formidables avec qui nous faisons route depuis longtemps et avec qui nous partageons une moralité commune.
4) L’environnement dans lequel vous avez enregistré a t-il influé sur le contenu ?
Peut-être plus la Normandie que la crise sanitaire, au final. Rouen est un peu notre » Seattle » à nous, c’est une ville qui bruisse en permanence, à l’activité artistique débordante. Une ville sans compétition mais stimulante. « On n’est pas d’un pays, on est d’une ville », disait l’autre.
Ce qui a joué aussi, c’est la situation actuelle de la musique, en radios, à la télé – de la décennie musicale en cours – de la place folle que le marketing a pris par rapport à l’artistique. Quand tu es dans ce taf depuis longtemps et que tu constates la lente dégradation des choses, les promotions squattées par des artistes sans propos ni substances, tu te dis que c’est le moment de reprendre les guitares pour montrer à tes gosses que tu n’es pas dupe et qu’il faut faire quelque chose. On est bien conscient qu’on ne va pas renverser le château de cartes, mais au moins on pourra se regarder dans la glace.
5) A l’écoute, j’avoue constater que les influences sont bien assimilées. Cependant, vous reprenez Springsteen. Influence commune et avouée ?
Oui et non: Springsteen c’est par petites touches dans nos vies, mais pas toute sa vie et son oeuvre -même si bien évidemment « Nebraska » et quelques autres albums ont une place de choix dans notre discothèque. C’est surtout un mec important, un gardien du temple. Le concept » Springsteen » semble parfois dépasser le simple cadre de sa musique ; en ça il nous semblait important de le reprendre. Dans un monde ou Kanye West veut devenir président des USA, parler de Springsteen, l’écouter et le reprendre nous semblait une chose logique à faire.
6) Si j’ai bien compris, ça faisait 2 ans que l’album « mijotait ». Vous semblez lui avoir accordé un soin tout particulier, non ?
On a accordé à cet album le même soin, la même attention et le même tact qu’on se doit d’accorder à un « ami ». Cet album, ce ne sont pas des promesses en l’air qu’on s’est faites en reculant. On se devait ça tous ensemble et on le devait à la musique. C’est pas compliqué de faire les choses qu’on aime, c’est même un devoir pour montrer l’exemple. Par contre, c’est difficile de les finaliser car l’époque est nulle et on n’attend rien du rock – à part vendre des t-shirts Ramones chez H & M.
7) Comment voyez-vous le projet Animal Triste ? Est-il voué à s’inscrire dans la durée, ou constitue t-il une simple activité « récréative », menée néanmoins avec sérieux ?
C’est nôtre bouée de survie ce groupe, un espace libre qui nous définit en tant qu’humains. Tant qu’on aura des choses à dire, on sera là.
Il s’agit avant tout de ce qu’on fait et de ce qu’on va laisser comme empreinte de nous à nos kids. Surtout pas de ce qu’on veut vendre. Ce n’est pas du militantisme. Juste la bonne chose à faire pour nous, à ce moment là, de nos vies. On ne doit pas réfléchir en terme de carrière: dès que tu commences à faire ça, tu troques ta vérité et donc ta musique. Trop d’artistes aujourd’hui ne savent plus pourquoi ils sont là. Mais comme ils veulent y rester coûte que coûte, ils se cherchent des causes qu’ils salissent pour promouvoir un disque dont ils ont écrit le concept avant même les notes – au détriment d’autres artistes qui eux ont de vraies choses à dire –
Nous, nous faisons de la musique entre gens de bonne volonté avec des valeurs communes. Rien de plus mais c’est déjà beaucoup. Ce disque, on en est fiers pour de vraies raisons, ça soulage l’âme. A un moment donné dans ta vie tu dois te poser la question de ta responsabilité, quelles que soient les sphères où tu gravites. Se poser la question du pourquoi on en est là à tous gueuler sur la musique de merde, et donc réagir en conséquence, ça t’évite d’être cynique ou aigri. Le rock peut avoir les formes qu’il veut, mais l’honnêteté est quand même son premier texte de loi normalement. Quand tu oublies ça, tu deviens un imposteur.