Rouennais, Bungalow Depression fut dans un premier temps l’effort solo d’Anne-Laure Labaste, qui mêlait violon, bribes de chant et effets divers pour obtenir un rendu, évidemment, décalé et intéressant. La formule, avec l’arrivée de Clément David (Greyfell) à la basse et de Hugo Magontier (Servo) à la guitare, aux claviers et aux boites à rythmes, a pris du corps et on en vient avec délices, ce jour, à la sortie d’un premier mini-album. Blank Slate, donc. Sur ce dernier, on dénombre sept morceaux magiques, fantomatiques comme ils peuvent, en d’autres endroits, tirer leur flèches soniques imparables (Hold me). On en devient vite captif; la glace chaleureuse de The whirl, ses saccades et son chant de sirène émergeant de la brument ont, sans traîner, raison de nos défenses. Le trio dépayse, entre trip-hop et rock fougueux, encarts impurs et sonorités nuptiales mâtinées d’attaques rudes il trouve, magistralement, sa place. On pense à Cocteau Twins, pour la voix, pour les climats. Ou encore à Dead Can Dance pour la capacité, répétée, à emmener le quidam loin de ses repères journaliers. Sad day, presque indus de par sa cadence, ses bruits marqués, envoûte lui aussi sans recours possible. Lancinant, fait de flux sonores imaginatifs, obsédants, il assied l’approche, personnelle, de la dame et ses deux collègues de jeu…déviant.
Les états d’âme de l’humain, ici, sont support à l’excellence. Les morceaux, intenses, faits de chaud et de froid, ne font pas tiédir: on s’en entiche. Au sein d’une scène locale à dominante rock, mais large et fournie, Bungalow Depression amène un plus de taille. Il va sans dire qu’on le prend en considération: le brouillard sonore de Silent voice accentue l’emprise, le voyage, aidé en cela par, encore une fois, des sons et inflexions vocales prenants à souhait. On avance, comme à l’aveuglette, dans des contrées passionnantes. Belles aussi, tourmentées et élégamment belliqueuses. La fin de ce Silent voice, bruitiste, crache une ire magnifique.
Photo: Félix Ramaën
A l’issue Heartwashing, sombre, bruisse et comme de coutume -on y prend vite goût-, étend l’attrait vocal et musical des trois comparses. Crachin instrumental de classe, rythme entêtant car proche de l’immuable et ambiances rêveuses, mais intenses, se font valoir. White light, exempt de rythme, souffle une sorte de shoegaze, de « dreamy sound », qui aurait mérité de s’étendre. Hold me suit, ses soubresauts d’une électro groovy le font serpenter et, parallèlement, font remuer nos membres. Ses zébrures de guitare déraillent, se confrontent au chant toujours aussi pétri de relief de la frontwoman. Imparable. Puissant mais aussi racé, le groupe dessine déjà ses propres traits, jamais forcés. De ce morceau noisy, il bâtit ensuite une trame, sur le titre éponyme, d’abord drone, ou presque, avant que les scansions rythmiques et sons dark, ingénieux et de texture inédite, ne viennent bousculer la relative tranquillité de l’essai. Ou, plutôt, de cette réussite terminale ébouriffante.
Celle-ci, en sa fin, se fait massive, mystique, sur près de huit minutes au final. La durée, en l’occurrence, n’est en rien gênante. Au contraire: elle permet à Bungalow Depression, sans hâte mais avec sûreté, de poser de manière définitive des fondations qui lui reviennent entièrement. Dépositaire d’un ouvrage hypnotique, d’une qualité jamais prise à revers, le clan normand frappe fort, d’emblée. Il se pose sans complexes en espoir talentueux, stylistiquement décalé, d’une mouvance originale et novatrice, dont il tient la rampe sans jamais chuter ni même trébucher. Superbe album; à la « dégaine » de BO de nos changeantes existences.