Culte et pour le moins aguerri -on ne compte plus ses sorties ni les inlassables activités de Jad Fair, son leader-, Half Japanese revient avec un dix-neuvième album, Crazy hearts. Celui-ci sort chez Fire Records, il module l’art-punk du clan, comme à l’habitude, à toutes les sauces indé et au bout du compte, on a l’impression, tenace, que les vétérans ont plus que jamais la gouache. The beast master nous rassure d’emblée; sonicité, vitesse d’exécution sont de mise. Le tout sur un ton art-pop convaincu, millésimé, dont les ressortissants de Uniontown ont le secret. Entre bourru et stylé (Wonderous Wonder), ils imposent à nouveau un registre impeccable. Quelques synthés apparaissent, allégeant un fond ombrageux. On suit sans peine: Dark world, de circonstance, projette dans nos casques une fougue rock qu’on ne cherchera pas à endiguer. Référence, plus que jamais, de taille, Half Japanese n’est pas là de capituler. Il en a encore sous le capot, And it is l’amène à orner son effort de nappes de claviers bien senties. Le morceau installe une forme de psychédélisme alerte, de pop biscornue qui passe l’obstacle avec brio.
On n’est jamais, ici, dans le convenu. On traverse hors des clous, on serpente entre les genres sans s’arrêter, complètement, à l’un d’entre eux. Depuis les débuts du groupe, à l’aube des 70’s, le procédé fonctionne sans ratés. My Celebrity présente un rock aussi joyeux, dans certains sons, qu’obscur quand son tempo ralentit. On joue sur les contraires, on refuse ouvertement l’inertie musicale. Phantom Menace s’engonce dans un climat retenu, amer mais également patiné. On est preneur, ici comme partout ailleurs. Undisputed Champions, au groove cold/post-punk irrésistible, branché sur la prise late 70’s, convainc itou. Le savoir-faire, chez Fair and Co, n’a pas pris une ride et n’est pas un vain mot. Late At Night, pour lequel on aura prolongé notre soirée -on ne le regrettera pas-, privilégie une pop venteuse, soutenue, pervertie par le chant.
Le titre éponyme, vif, mêle comme bon nombre d’autres élans dark et mélodies de choix. A ses quelques rééditions, Half Japanese ajoute là une pièce pour laquelle on donnera nos pièces. As Best You Can acidule ses contours, dans le même temps il sert des sifflotements enjoués. Dans ses nuances de tons, le groupe, s’il se montre globalement moins frontal qu’auparavant, est incontestablement à son affaire. A Phantom Menace lui fait franchir la dizaine (de titres) sans dommage. Massif-aérien, il ne dénote en rien. Il s’offre, de plus, des encarts acérés pour, après cela, retrouver une forme plus céleste. On n’y trouve rien à redire, l’essoufflement n’est visiblement pas au programme de cette fin d’année. A Job Well Done, c’est le cas de le dire, joue de son côté une pop tranquille, élégante. Source d’influence d’une tripotée de formations actuelles et plus datées, la clique leur lègue, une fois de plus, de quoi s’inspirer.
C’est Let It Show, où John Sluggett, Giles Vincent Rieder, Mick Hobbs et Jason Willett, artificiers de longue date et acolytes, donc, de Mister Fair, élaborent une trame fine mais animée, qui conclut. On n’apposera, à ce Crazy Hearts, qu’un seul bémol, et encore, à sa grande valeur d’ensemble: la disparité, à mon sens trop marquée, de ses fuites vers un rendu sauvage et complètement déchainé.