Ingrina est le nom d’un souvenir. Celui d’une sensation d’extase vitale que cette civilisation tâche de faire oublier aux vivants. C’est aussi le nom d’une fuite. Celle qui s’empresse vers des arrières-mondes moins hostiles dans lesquels le temps est dépassé. Tout un programme qui explique partiellement la portée et la singularité, la densité surtout de ce Siste Lys fait de six pavés célestes autant que massifs. Entre morceaux d’avant, retravaillés, et plages à la tourmente d’en ce moment, le sextette referme sur nous autres, auditeurs malmenés et privilégiés, le couvercle d’un chaudron où post-rock, post-métal sans trop de pétales, shoegaze, sludge et je ne sais quoi d’autre entrent en collision. De ce chaos aux durées étendues surgit, s’extrait une farouche beauté que Jailers, clippé en live et doté de voix sauvagement lyriques puis plus directement hurlées, fait éclater. Dès les premières secondes le constat est clair: rarement, il m’a été donné d’entendre ça. J’irai même jusqu’à dire qu’il s’agit là d’une première tant Ingrina s’affaire à se différencier.
Le « bing bang » initial passé, Walls réitère la noirceur lancinante inhérente au groupe. Pour le coup, les chants se font fantomatiques. On a le sentiment, ici, de tâtonner dans la brume, épaisse. Les sensations arrivent, sous différentes formes. Lestage doom, opacité merveilleuse: à l’aide de deux batteries, trois guitares, une basse et des voix donc, Ingrina s’escrime à retranscrire la mélancolie qui, entre l’écroulé et le naissant, se fait jour. Casual est puissant, sa brièveté ne fait qu’en décupler la force de frappe. Ceci, toujours, selon des trames pesantes mais fortes, pourtant, d’un certain groove.
Stolidity, pour poursuivre l’épopée, fait resplendir ses chants, aux airs d’opéra déviant. Des mélodies émergent, le contenu s’allège. Siste Lys n’est pas, loin s’en faut, monolithique. On ne peu, stylistiquement, le qualifier. Mais on valide, avec joie, son rendu. les labels mobilisés sur la sortie, tous dédiés, eux aussi, au décalé sonore, peuvent se réjouir: avec un tel effort, leur catalogue se complète d’une pièce majeure. L’album est d’autant plus imprégnant que ses climats, ses attaques obscures, s’empilent et se succèdent. L’expérience est unique: ça suffit, déjà, à en faire un temps marquant. Le shoegaze rêveur et épais de Now trouve son extension dans un tumulte saccadé, d’une rare vigueur. A ça, on greffe ses motifs plus éclairés, si on peut dire. Le procédé débouche sur un son personnel, détaché de toute influence évidente.
Frozen, de sa brume lourde, sertie de notes finaudes, se fait psyché. Le panel, comme dit plus haut, est ouvert. L’atmosphère est, certes, noire. Mais elle se décline selon des formes diverses. On recourra, très certainement, à plusieurs écoutes pour en saisir toute la teneur, en apprivoiser les atours inédits. L’effort, comme avec tout disque hors-champ, vaut la peine qu’on le consente. A l’arrivée, à la « redescente », on sortira, secoué et comme sous emprise, d’un trip sonique made in Ingrina, marque de fabrique d’une formation ambitieuse et ne cédant en rien à la conformité.
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