Après les deux premiers volumes, passionnants et foisonnants, qui mirent en exergue la richesse de la scène hexagonale -déviante et singulière, un brin subversive voire plus- s’étendant de 1978 à 1983, Jean-François Sanz et Marc Collin mutualisent et optimisent leurs discothèques respectives pour livrer un troisième volet, arrivé presque par surprise. Vingt-quatre morceaux, entre raretés et inédits, ponctuent un recueil une fois de plus captivant, qui même de nos jours ferait bonne figure. Le festival DES JEUNES GENS MÖDERNES devait même se tenir en novembre 2020 à La Station – Gare des mines, avec un line-up intergénérationnel mettant en évidence la filiation musicale et l’influence que cette scène cold wave continue d’exercer sur de nombreux artistes émergents. Si les circonstances retardent l’événement, il nous reste, dans l’attente, une cascade de morceaux qui s’enfonceront dans les cortex. Analoid, de son Sans issue hypnotique aux gimmicks de synthés fatals sur fond de lancinance cold, pose et ose la première pierre. On est, déjà, dans le ton à part de l’époque. Alena enchaine, il signe Les ailes de la nuit. Celles-ci prennent un envol vivace, truffé lui aussi de sons addictogènes. Voix déshumanisées, rythme appuyé font exceller le clan.
Dans la simplicité, en s’appuyant sur de bonnes idées et le désir de se démarquer, ce Volume 3 n’offre que du bon. Stylistiquement, il va sans dire que tout en restant cohérent, on convoque plusieurs genres. Abitbol & Desperiez, avec son Substance M, lâche des volutes froides et célestes, triturées. Il y avait, en ces temps prolifiques, une créativité qu’on peine à retrouver aujourd’hui. Martin Dupont joue, lui, un Nice boy aux sons qui fusent, spatiaux. Warum Joe, en envoyant sa vigueur électro-punk au son de Ralph und Karl, me refile l’envie de me replonger dans ses oeuvres. C’est un peu la caractéristique, d’ailleurs, de ce type de compilation: à l’issue de chacun des morceaux surgit l’envie de creuser plus en avant. Les Magistrats de Syracuse, avec Genèse, rendent leur verdict: new-wave, innocente et instru-mentale. Codek se présente à la barre, le niveau de son Demo lui fait quitter la salle libre et dansant. Il y a du Talking Heads dans ce morceau, puis Tintin Reporter nous impose des Chocs Émotionnels Novo et funky. Celui qui, à l’écoute, ne se trémousse pas mérite sanction.
De partout, en outre, fusent des sons délicieux. Une pincée de saxo pour ce Tintin Reporter, avant d’aller swinguer sous l’effet du Swinging-pool de Tokow Boys, chant naïf en sus. Un sax, si je ne m’abuse, orne et feutre la plage. X Ray Pop, L’Eurasienne en poche, s’agite sévère. Rythmiquement. A côté de ça, il développe des nappes célestes. Elise Cabanes lui succède, son Loup Garou est cold autant qu’enjoué, dans le chant et le décor on comprend vite où La Femme est allée chercher ses idées. Ses guitares font les belles tout en piquant. Les Stagiaires, malgré leur statut, ont eux aussi le niveau. Ils se foutent, dans le speed, d’un certain Charles-Hubert en jouant les embourgeoisés. Rien à jeter, jusqu’à la lisière de la face B et il en sera ainsi jusqu’au terme de ces chansonnettes espiègles et sans âge réel. Par la suite, entre La Prochaine Crise des Anonymes et Atom Cristal qui conclut avec son électro froide et perchée (dans les cieux), il y a à nouveau de quoi se gaver. Nini Raviolette par exemple, d’un Je Tu Nous vaporeux, est clairement à son avantage. Dans ces années d’intense et inlassable innovation, nombreux furent les combos valeureux.
Berlin 38, dépositaire d’un Guerre Après Guerre à la basse rondelette, en est. A la quatre-cordes se greffent des synthés remuants, comme la cadence qui les emporte. Le Anyway d’Oto, chanté en Anglais, aura à son tour giclé une belle démence. L’idée de faire revivre tout ce pan de notre histoire musicale est, on l’aura compris, merveilleuse. Si les temps actuels ne manquent pas de qualité, on reste bien éloigné de la folie créatrice estampillée « 78-83‘. Atom Cristal, en dernière place d’une collection que nous nous devons tous de posséder, lance des sonorités robotisées, quelques notes avant Merveilles Attendues aura réalisé une Performance synthétiquement imparable. J’en oublie: Spleen Idéal, versatile et Dahoesque dans la voix, ou Megaherz et sa Manche Atlantique aux encarts bruissants et guitares loquaces auront parmi beaucoup d’autres tiré leur épingle du jeu.
Ce Volume 3 est de toute évidence une source, inépuisable, de plaisirs polissons. Vingt-quatre titres durant, on explore des courants dont on s’entiche, marqueurs d’années dont l’impact perdure et influence encore et toujours une batelée de groupes d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Excellentissime.