Duo bruxellois au crachin EBM/techno-indus gris et sinueux, connu pour ses prestations live déjantées, Techno Thriller intègre pour Decameron, son nouvel album, la famille Teenage Menopause Records. Structure avec laquelle il a, de toute façon, toujours été de mèche. Forte de deux albums déjà barrés, dignes de ses deux têtes pensantes fertiles autant que tourmentées, la paire récidive avec, pour thématique, une libre relecture du Decameron (chronique en 10 textes du florentin Boccace, décrivant la propagation de la Grande Peste de 1352 dans sa ville). Il en résulte, en phase avec un choix qui ne gazouille pas vraiment, une dizaine de plages sombres, hantées, amorcées par Bethleen 1566. On y entend le vent souffler, des sons clairs lui « résistent ». Entre noirceur et lumière, voix susurrée comme dans la pénombre, on tient déjà un climat singulier, encore retenu toutefois. Des cloches mettent un terme au morceau, lugubres. Alors Le sombre hiver, d’un indus dark et médiéval dans son ornement, accentue le sentiment de mal-être, au son d’une sorte de symphonie moyenâgeuse expérimentale de haute volée, lié aux créations des acolytes.
Jeudi saint, de sons acides et triturés en chant une fois de plus obscur, étend l’atmosphère malsaine qui caractérise l’album. Sous le regard des dieux, à sa suite, palpite sous l’impulsion de motifs électro-dark. Brumeux et angoissant, chanté une fois de plus avec morgue, il assied le style, de plus en plus attrayant au fur et à mesure de sa « descente », de Techno Thriller et de ce nouvel effort qui joue sur les sens, les plonge dans un puits de grisaille dont il sera difficile, au terme de l’écoute ce Decameron, de s’extirper. Le titre éponyme, jonché de rythmes et jets sonores marquants, en referme d’ailleurs l’issue. On ne voit plus le jour: arrivent à ce moment les featurings, le premier mettant à l’honneur Naomie Klaus et faisant valoir des sonorités elles aussi antiques, en phase avec l’organe envoûtant de l’invitée. Celle-ci, dans le duel complémentaire avec l’organe masculin, amenant une touche de clarté qui ne fait que doter l’album, singulier, d’un relief plus marqué encore.
Beau, et poétique, dans ses déclinaisons de gris, le titre exerce à l’instar du reste une irrémédiable attirance. Les « feat » sont bien choisis, celui de Tamara Goukassova et son violon félon a tout autant de portée. Réitération indus, voix narrative et instrument, donc, au nappage obsédant endossent une vêture de bure. Decameron, mieux que de se démarquer, « brille », si on peut dire, par sa singularité et son aptitude à s’appuyer sur une base qu’on n’exploite jamais avec facilité. L’armée des morts, tumultueux sur son second volet, dégage tout à la fois savoir-faire et atours mortifères. Dans L’abime, Drwywy le décorant de sa vielle à roue, oppose celle-ci à un chant éclairci bien que porteur, comme partout sur l’album, de tons sans joie. Loin s’en faut, dirai-je même. Il n’empêche: tout ça, imbriqué avec maestria, fait de Decameron un must.
Soundcloud TSUGI: Techno Thriller-St.Vitus
St. Vitus, dans une sorte de trip-hop « indusoïde », dansant et entêtant, tant par ses bruits inédits que par sa cadence chaloupée, vient finir. On entrevoit à ce moment, de manière très claire, l’horizon se dégager, encore empreint, cependant, du parfum de la peste. Album insidieux, immersif et jouissif en dépit d’abords allégoriques, Decameron honore, et consacre, des musiciens qui n’ont de cesse de dévier, de se démarquer et le font ici avec une foutue dextérité, doublée d’une belle audace et d’une approche particulière maîtrisée de bout en bout.
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