Défricheur à toute heure, Suuns n’a pas son pareil pour, de façon récurrente, créer des pièces maladives, obsessionnelles, cosmiques et vaporeuses, en d’autres temps plus enlevées. Avec Fiction, EP où interviennent Radwan Ghazi Moumneh (Jerusalem In My Heart), au bouzouki, et Amber Webber (Lightning Dust) qui y va de son chant de sirène sur Death, le combo de Montréal nous catapulte d’emblée dans la nébuleuse. Look, sur fond de chant perdu ans la brume, fantomatique, impose son cosmisme. C’est une lente épopée, dans la nuit, aux effets psychotropes certains. La voix se répète jusqu’à l’addiction, hypnotique, à l’unisson avec des sons qui s’épaississent progressivement. Breathe, de notes elles aussi réitérées sur rythme galopant, poursuit l’entreprise de mise sous emprise amorcée par Suuns. Le groupe use de sa récurrence dans les sons, et les cadences, pour poser ses contours inédits. Plusieurs écoutes sont souvent nécessaires à appréhender toute la teneur de l’ouvrage, quand bien même on est d’ores et déjà familiarisé avec l’univers du combo.
Pray, de son chant sensible au décor finement agité, reste perché. Puis il s’anime, prend des traits rock cold et spatiaux. C’est bien Suuns qu’on entend là, insensible à toute forme de conformisme. Des guitares bruitistes s’invitent, dans l’opposition avec ce chant céleste. Soniquement, Fiction semble retranscrire l’incertitude, le chaos de l’époque en cours. Le titre éponyme lâche un trip-hop venu des cieux, en phase avec l’absence de limites qui illustre le groupe. Lequel, sortie après sortie, consolide toujours plus son assise stylistique et son désir de ne pas appartenir.
Death, où chante donc Amber Webber, débute dans un grésillement drone. La voix lui confère de airs shoegaze, la pureté de cette dernière se confronte aux zébrures sonores qui le bordent. On dirait un peu, à l’écoute, le Loveless de My Bloody Valentine. Enfin Trouble every day, avec sa narration sur fond de sons acidulés, qui évoque le noise-rap d’un Moodie Black avec des guitares déviantes, un rythme versatile et comme hagard, termine le boulot sans se départir un seul instant d’une errance sonique qui amène Suuns, exigeant à l’endroit de l’auditeur, aux sommets de ses investigations. Il se pourrait toutefois, au gré de l’audition de ce Fiction, que certains optent pour la fuite. S’imprégner n’est pas aisé, on n’en disconvient pas.
Mais l’effort, s’il tient dans la durée, débouche de toute évidence sur des sensations nouvelles, fortes et profondes, de celles dont on peine à effacer les traces. C’est par ailleurs l’une des forces de Suuns, toujours prompt à réveiller en chacun de nous des ressentis inattendus en nous imposant la visite de terrains, cosmiques ou…souterrains, riches en textures ingénieuses dont le mental s’enivre jusqu’à la perte de contrôle.