Duo italien réduit à Matteo Scarpa et Antonio Angeli, Kill Your Boyfriend s’affaire depuis déjà 10 ans à générer un son noir, en phase avec l’époque qui est la sienne. De nombreuses sorties jalonnent son parcours, on en arrive bientôt à ce Killadelica qui se compose uniquement de prénoms de filles. Si hommage il y a, celui-ci est sombre, musicalement proche d’un A Place To Bury Strangers pour ses poussées de fièvre noisy-shoegaze. Ou encore d’un Jesus and Marcy Chain ère Psychocandy quand, sur Marie par exemple, le ton se fait souterrain, dark et lugubre. Anula, pour ouvrir le bal sans joie, développe une entrée en matière tout à la fois psyché, shoegaze, dans une grisaille tendant au noir qui « colorera » l’intégralité du disque. Jean s’en teinte, plus alerte mais tout aussi obscur. Comme chez Oliver Ackermann and co, on excelle dans ce créneau. Natasha s’inscrit dans le prolongement d’une série de morceaux aux dérapages, et motifs, qui font qu’on s’y attache. Sur le titre en question, je pense à Clinic, groupe de Liverpool, pour le côté spatial et sinueux. Ce Killadelica s’écoute d’une traite, ses morceaux diffèrent assez peu les uns des autres mais tous sont de taille et l’ensemble vaut son pesant d’auditions.
Nancy, agité, suinte la folie vocale. Agave m’évoque le meilleur, le plus sombre aussi, des frères Reid. A tout juste deux, donc, et sans avoir recours à tout un arsenal, Kill Your Boyfriend trousse des chansons du fond du puits, valeureuses et dérangeantes, jouissives pour tout amateur de la scène concernée. Killadelica accompagnera, parfaitement, nos humeurs les moins enjouées. Belle semble même gravir un échelon supplémentaire dans la noirceur. L’album est un abime, dans lequel on plonge sans aucun espoir d’en remonter. Lancinant ou trépidant, il suscite immanquablement l’enthousiasme. Kill Your Boyfriend continue à progresser, quand bien même tout ce qu’il a pu produire jusqu’alors se tient plus que bien. Il a visiblement trouvé, dans ce parti pris sombre à outrance, une posture adéquate.
Elizabeth le conforte dans son assise. Si APTBS se fend, de temps à autre, de ritournelles mélodieuses qui ornent son fatras sonore, il n’en est ici aucunement question. On hurle, on bruisse, on crie sa haine et son dégoût. Eve, rapide et saccadé, éteint définitivement la lumière. Ses trouées soniques le perforent, le chant explose dans une folie libératrice. Les guitares, un fois n’est pas coutume, s’éclaircissent un court instant. C’est du tout bon, d’un bloc compact, que livre là la paire transalpine. Aileen, aux basses bien cold, aurait sa place, sans conteste, sur le Exploding head de qui vous savez. C’est dire le niveau du tout, irréprochable, qu’on ne conseillera pas aux auditeurs qui gazouillent et carburent au radiophonique. Killadelica est à réserver, cela va de soi, aux ouverts et initiés. A ceux qui, dans le quotidien, s’insurgent et refusent de trop longtemps subir.
Kathy, qui lui met un terme, avance avec lenteur. C’est le chant qui, ici, prend les devants. L’instrumentation est moins bruitiste mais pas moins « black », elle prend des airs de symphonie au ralenti, jouée depuis une cave. Les deux mecs de la Grande Botte signent un album de tout premier ordre, peut-être bien le plus extrême et obscur d’une discographie n’incluant par ailleurs aucun raté. Ayant joué The KVB, ZU, Zola Jesus, Civil Civic et bien d’autres, il se pourrait que son Killadelica lui ouvre les portes d’une reconnaissance plus marquée encore, de la part en tout cas de la partie la moins mainstream du public rock.