Quatre garçons qui réinterprètent sur scène, en formation rock, des morceaux composés à partir de collages et de bidouillages dans un grenier. Dont les chansons bizarres bidouillées en studio se sont transformées en bombes noise rock. Voilà ce qu’on peut lire à propos de ce groupe, Le Crapaud et la Morue, qui après quelques eps autoproduits et « home made », puis un premier opus nommé Franche camaraderie (mai 2018), balance Que faire?, où étrangement il s’affaire et a à faire, de manière déviante, et nous rassasie de son rock aux teintes diverses. Ca régale les orifices -ceux du haut surtout, ne poussons pas le bouchon…-, et Les bergers, porteur d’un son affiné mais résolument décapant, livre pour débuter une envolée aérienne, dont on sent que sans trop tarder, elle s’enhardira. Finalement, les voix unies soulignent une trame rock bluesy, lancinante, de nature à démarquer la formation Sarthoise. On n’est pas dans le commun, que ce soit vocalement ou dans le genre. Riffs crus et vocaux criés, cascades noise racée, nous voilà pris dans un joyeux foutoir…cohérent. D’emblée, on est mis au parfum; Le Crapaud et la Morue n’est pas là pour se conformer. Ils assènent un rythme tribal, continent à brailler et font dans le bourru subtilement conçu. La fin du morceau oscille dans ses tempos, validant l’anormalité digne d’intérêt du clan.
Secondus, d’un blues offensif, tire la seconde flèche. Il vire noise, impose des rafles de drums, des mélopées de guitares qui font mouche. Au moment où, avec peine, tu saisis son propos, Le Crapaud et la Morue brouille les pistes. Il le fait parfaitement bien, ses changements d’orientation sont en place et surprennent. Son discours dit, avec loufoquerie, des choses non creuses. « Rester lààà », chantent-t-ils. On reste évidemment, on se plait même à faire face au pavé qu’est Le grand vertige. A la fois massif et mélodieux, il mêle torrents sonores façon Sonic Youth et élans chanson biscornus. Comme si on ne l’avait pas compris, Une proposition, ensuite, entérine la gaudriole stylistique du quatuor. Y’a du psyché, des scories jazzy, un rock qui ne dit pas son nom. Un souci constant, au delà de ça, de faire dans le musical, bien pensé mais forcément à part. A l’arrivée, c’est captivant.
Plus loin et passé ce format étiré qui ne lasse point, Des hommes femmes met d’abord en scène les chants, encore une fois de pair. Le rendu s’annonce guilleret, posé…mais vrille sans plus attendre. It’s a space-rock bullet, Arlette. With deviant melodics inside and it sounds great, Edith. Je m’escrime à situer le rendu, je vais finir par sombrer dans l’approximation totale car une fois de plus, c’est ça qu’on aime d’ailleurs, les bonshommes tournent et détournent, se faufilent entre les styles. Ils mettent du beau dans leur déferlante, breakent magistralement. D’élégantes tempêtes jalonnent, de chants hurlés en encarts avenants, leur ouvrage de rage et de savoir-faire. Post extra, alerte, tape une escapade dans le cosmos, vivace. On dirait, un peu, les regrettés Marvin. A l’issue Deux portes, un brin funky-rocky, épais et groovy, achève de passionner l’monde. Ses voix délirent: mazette putain comme je dis souvent, trop bon l’bazar, Balthazar! A l’instar de tout album inclassable, Que faire? fera plier, et s’accoutumer dans la durée, les plus persévérants.
Qu’y faire? Rien. Pour le coup, c’est sur près de 10 minutes qu’on se fait secouer, qu’on essuie une pluie nourrie de sons qui font du bien, de climats changeants. J’ai cru, au départ, à de la zik pour enfants, trompé par le patronyme du groupe. Que nenni! Ce sont certes de grands enfants, (très bons) joueurs, mais ce qu’ils créent s’adresse tout de même à l’adulte, ou pourquoi pas au jeunot, aguerri. Il en existe. Ce Deux portes (grandes ouvertes) affiche une fin agitée, après être passé par un panel d’états digne de notre (triste) Etat.
Enfin, L’Ascension ondule, confronte finesse et fond sous-tendu, appuyé par des chants qui, encore, refusent d’épouser des contours conformes. Z’ont raison, on s’ennuierait et quoiqu’il en soit, c’est dans ce registre barré, à la croisée de tout et de lui-même, que Le Crapaud et la Morue est à sa juste place. Il pourrait à nouveau, à l’avenir, nous attendre au coin de bois et nous concocter un ragoût encore différent, habitué qu’il est à détonner. Pour l’heure, il nous ravit avec son Que faire? de haute volée, à ranger dans la précieuse charrette des découvertes hors-cadre.