Formé en 2014 par Anthony Fleury (ex Fordamage), Thibault Florent (So-lo-lo / Nist-Nah) et Etienne Ziemniak (Electric Vocuhila / BGZ Trio / Carnalisme), Mange Ferraille vient de Tours. Il conjugue les parcours, différents mais marqués par le même souci de tout faire anormalement, des trois hommes. Un EP, en 2015, puis un album éponyme, en 2017, émaillent leur avancée. Je n’en dirai rien, je n’en connais pas le contenu. En revanche ce Erba spontanea, pavé psyché-noise tumultueux et répétitif de quarante minutes se déclinant en quatre parties liées, retient toute mon attention. Il drone, investit les cieux, associe le tribal et le spatial. Des déchirures lui portent atteinte mais s’il se répète, il n’en devient que plus pénétrant encore. Orgue et guitare baryton contribuent à démarquer le projet, à lui conférer une identité sonore qu’on ne peut, ailleurs qu’ici, retrouver. Erba spontanea est une épreuve, j’entends par là une expérience, qui oblige à l’immersion. Et qui, de nous, prend possession. Dans une forme de chaos bien tenu, dans des bruits successifs et simultanés qui créent une bancale harmonie, les tourangeaux ne font pas les beaux.
Seule compte l’errance, doté d’un objectif: expérimenter, cheminer, déstabiliser jusqu’à faire émerger des émotions. De tout ordre. Soumission, rejet aussi, on le comprendrait s’agissant d’auditeurs rangés, sentiment d’enfermement, ou encore de dépendance à des vagues sonores exigeantes. Batterie immuable, assénée. Guitares, et orgue donc, aux trames qui obsèdent ou feront fuir. On ralentit, lentement, jusqu’à ne plus entrevoir de réel terme et pourtant, celui-ci existe. En s’adonnant à un psychédélisme monolithique, Mange Ferraille hypnotise. Son fracas, ses spirales grinçantes, sonnent comme la BO d’un monde malade.
Des voix, parait-il, sont de la partie. J’aurais aimé les entendre. Oh, les voilà! Au bout de presque 35 minutes elles incantent, ajoutent au mystère captivant d’Erba spontanea. Ce dernier, ainsi, prend du relief. Sa linéarité est atteinte, sa portée pas du tout. Au contraire, elle s’amplifie. Des stridences surgissent. Sensoriel, électro parfois, en sa fin, mais de manière barrée, underground et industriel car réitéré, l’album est intense, dense, et extrême. Ses tambours cognent, remontés par un chant coléreux. Il faut, certes, l’ingurgiter. Mais ça vaut le coup et en y repassant, on se rend compte qu’il n’est pas si figé. Nul besoin cependant, ici, de varier outre-mesure pour asseoir son impact. L’effet est déjà saisissant, les sens mis…sens dessus-dessous.
Erba Spontanea, on l’aura compris, ne s’adresse qu’à une frange réduite du public indé. Tant mieux, il s’agit très certainement de la plus ouverte. D’un bloc de teneur décalée, l’ouvrage, qui fait l’objet d’une coprod’ entre labels de choix, s’avère être de plus en plus prenant au fil des écoutes. Encore faut-il, au vu de sa longueur et de ses variations épares, tenir le choc. J’y suis de mon côté parvenu, la « faute » aux effets mentaux que procure l’épopée. Sans que ce soit forcément mon pain quotidien, j’y reviendrai de temps à autre, dans la certitude de revivre un temps unique et de « subir » les conséquences d’un travail poussé, jusqu’au boutiste, signé par des musiciens sans limites.