Glitterbeat. Quand je lis ce nom je pressens, sans douter, que le contenu m’emportera. Ifriqiyya Électrique, Lucidvox dans quelques jours et j’en passe; nombreuses sont les occasions de tripper, de s’écarter de la norme, de différer et de bifurquer. Avec Ustad Saami, dernier maitre surti en vie, précurseur de l’ancienne musique islamique qawwali, le voyage s’étire ici sur trois titres mais leur durée, leurs effets dépaysants imparables, nous obligent à rester dans le coup. Après un God Is Not a Terrorist (janvier 2019) qui lui valut un joli succès, le vieil homme propose là une performance vocale hypnotique, accompagné par ses quatre fils dont l’ornement, tout aussi prenant de par son immuabilité, complète parfaitement la prestation du père. Ses longues complaintes dégagent une beauté possédée et la première d’entre elles, Prayer for a saint, approche les vingt minutes en durée. En prolongeant, sur cette durée conséquente, son incantation et les décors de sa progéniture, Ustad Saami envoûte. On quitte nos bases, livrés au pouvoir de ces disques qui, dès leurs premiers instants, nous enferment à double tour dans leur bulle sonore. Elle a pour nom Pakistan is for the peaceful.
Les plages, c’est un fait, sont inertes, j’entends par là sans soubresauts ni réelle agitation. Mais leur intensité, leur étirement sur ces longues minutes qui ne lassent pas, font qu’on leur prête toute l’attention qu’elles méritent. Elles nous emmènent, le Pakistanais est bien loin de faire dans la surenchère sur ces compositions enregistrées chez lui, avec l’aide de Ian Brennan (Tinariwen, Zomba Prison Project), un habitué du son qui embarque son monde. Aman (Peace), exactement de même teneur que l’oeuvre d’ouverture, ne fera qu’enfoncer plus profondément encore le pouvoir d’une musique magique, habitée, que d’aucuns fuiront car ça aussi c’est une certitude, sa durée peut irriter..de même qua sa linéaeité.
Pour le coup il n’en est rien, l’effet de surprise et de nouveauté avantage l’artiste et le place à l’écart du plus grand nombre. Extrêmement immersif, Pakistan is for the peaceful ne trouve d’équivalent que chez les travaux antérieurs de notre homme. L’effet est psyché, il chamboule l’esprit et s’élève dans les cieux au point de s’y oublier. Avec True Notes (“Happy Morning”), troisième et dernier titre de l’objet sonore non identifié, on s’inscrit dans une durée moindre. Pourtant, l’attraction reste entière. L’album pourrait diviser, entre ceux qu’il capture et ceux qu’il incite à prendre la fuite. Mais les plus ouverts, les plus désireux de vivre le singulier, en feront un temps précieux. On a d’ailleurs l’envie de le répéter, comme piégé, lorsque surviennent ses dernières notes.
On soulignera donc, une fois retombé d’une expérience profonde, le flair de Glitterbeat, décidément de taille, à dénicher la vraie nouveauté. Aujourd’hui Ustad Saami, demain Lucidvox, hier TootArd et encore, je résume: il est rare voire inconcevable de tomber, quand on déchiffre le logo de la structure sur un opus, sur un rendu proche de la norme. On l’en remercie en même temps qu’on tente difficilement, passé l’écoute, de reprendre pied.