A l’ASCA de Beauvais, haut lieu isarien dédié aux Musiques Actuelles et pas seulement, il va sans dire que la reprise du live, subordonnée à la conjoncture actuelle, se fait avec prudence, de manière adaptée comme ce fut le cas, la semaine dernière, au 106 de Rouen avec Bror Gunnar Jansson. Les affiches restent, toutefois, attrayantes et valent largement le déplacement. Avec Ausgang, où officie Casey et sa rime aux airs de crime, ses mots-silex et ses hommes de main qui oeuvrent en rangs serrés, et les lillois de d’ YN pour lui ouvrir la voie en donnant de la voix, vindicative, le programme de ce vendredi soir incitait fortement à tracer la route direction le quartier Argentine, écrin du pluralisme culturel beauvaisien. Une fois de plus, celle-ci fut avalée avec un enthousiasme décuplé par l’impact annoncé, mais aussi par la sensation, à chaque venue, de préciosité. Un peu comme si derrière ces temps forts, et c’est un peu le cas, on n’était sûr que d’une chose: ouf!, on a vécu un set de plus. Pourvu…
Alors pensez donc: Ausgang, son Gangrène d’actualité, ses ponts entre les genres, entre les gens, ça ne se rate pas. Même assis, après un « godet » frappé aux couleurs de l’ASCA, on le prend dans le buffet. Et puis, c’est le premier live depuis ce Covid qui crée du vide, de l’absence. Dans ces conditions l’apparition du batteur d’ YN, rythme asséné à l’appui, a des effets salvateurs. Son acolyte débarque, remonté. Ca y est on y est, pour une première qui restera dans les mémoires. Parce qu’en plus de venir combler un manque évident, YN va nous servir un set court, certes, mais probant et jonché de samples qui déjantent, de mots bien plus réalistes qu’une « analyse » venue des sphères politiques, malhonnête et orientée. Le rap aux teintes rock « with no guitar » du duo frappe juste, il confirme de plus la bonne tenue de l’ep qui sanctionne son parcours. Un Chants de force, c’est son nom et il ne se conteste pas, qui donne…de la force, à l’instar du set de ce soir. Gage d’espoir, et validation d’aptitudes que la paire, qui figure dans les Inouïs du Printemps de Bourges, devra évidemment poinçonner à l’avenir.
Pour l’heure son rap conscient et pensé, lucide, mérite largement qu’on lui accorde de notre temps. Il fait, de surcroît, cogiter et affiche une présence scénique certaine. N’Zaki Forbon (voix, samples) et Yann Forleo (batterie), le premier de sa voix grave et diction assurée, le second de sa frappe tout en impact, assurant donc un live solide. Les deux complices ont ajusté le tir, il leur reste désormais à accroître et roder un arsenal déjà marquant.
Fusion, et communion, étant le maître-mot, entendons-nous bien: Ausgang, véritable gang rap-rock nimbé de samples inquiétants, est un must du genre. Armé d’un Gangrène aux morceaux ravageurs, sobres et durs dans leurs lyrics, la clique récompense largement notre courte attente. Casey, comme à son habitude, débite sévère. Marc Sens balance de la guitare « expè » en veux-tu en voilà, à l’aise quel que soit le style joué. Sonny Troupé impose une frappe tout-terrain, infaillible. Manusound fait gicler ses sons angoissants. On est dans la grisaille existentielle, dans la force, décuplée par le live, de titres à la fusion magistrale. De sa poésie de la rue, shootée au réalisme, servie par une plume inspirée, Ausgang fait brailler la foule. Ses textes, aux refrains répétés à l’envi, qui s’enfoncent dans les consciences les moins obtuses, et ses rafales de sons à l’insubordination jouissive, font mouche. Comme une ombre (grandissante et menaçante) et presque dans l’ombre, le combo joue des morceaux à l’efficacité redoutable et redoutée. Chacun d’entre eux est un manifeste, fédérateur. La scène les transcende, l’acuité de musiciens issus du vrai tout autant.
Il y a là, de plus, une pelletée de titres jubilatoires; Bonne conduite et son climat vicié, Gangrène et ses râles, son constat brutal (« Je suis mort en existant« ), Chuck Berry, ses effluves noisy. Au milieu d’autres tirs nourris, sans racontars stériles ni surcharge remplisseuse, Ausgang justifie une réputation loin d’être usurpée. Son discours ne s’invente pas, il est en phase directe avec le cruel du réel. Une finesse obscure dans l’atmosphère qu’elle génère (Elite) s’incruste, elle donne du poids à un registre Crapule, sans scrupules vis à vis des salopes de ce monde.
La rage m’appelle, Ausgang lui donne corps. Marc Sens, sur ce titre, balourde du riff plombé. Bâtard rocke, cogneur. C’est un hymne, comme bien d’autres. Un poing serré opposé à la fausseté, au creux d’une large frange de la société. On vit Ausgang intensément, il importe de n’en rien rater car il n’existe que peu de formations dotées d’une telle vérité dans l’attitude. De plages directes en ambiances plus insidieuses (Aidez-moi), dans un unisson qui ne plie pas, le quatutor rassasie son public. Damned, ça valait le coup de fendre le bitume pour le voir pourfendre l’injuste, redresser le bancal, mettre en lumière les affres d’un système de véreux (Ma complice). On en oublie qu’on est assis et « consigné », on se voue tout entier à la portée d’un live qui remet les esprits dans de bonnes dispositions. Un grand merci, donc, à Ausgang et YN, en maîtres d’une cérémonie acquise à l’irrévérence, ainsi qu’à l’ASCA de Beauvais, dont on imagine sans peine l’émotion et la satisfaction d’avoir pu, pour tout juste « 10 balles », permettre à son public de renouer avec le live. Avec, à la clé, une soirée mémorable à plus d’un titre.
Photos William Dumont.
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