Lyonnais, Polymorphie fut créé par le compositeur et maître d’œuvre(s) Romain Dugelay. Appliqué à scruter l’humain et ses maux et/ou périples, il s’attaqua dans un premier temps à la folie (Voix, 2010), puis à l’enfermement (Cellule, 2012). Aujourd’hui, c’est l’Amour sous toutes ses formes qui constitue la clé de voûte de son nouvel édifice sonore, Claire Vénus. Avec pour base des poèmes de Leonard Cohen, Pablo Neruda, Anna de Nouaille, Louise Labé, MA Genest, Pasolini, Guillevic, Paul Eluard, Marceline Desbordes-Valmore et Jean de Sponge, Dugelay convoque son trio Kouma (avec Léo Dumont, batterie & Damien Cluzel, guitare) et le tromboniste Simon Girard tandis que Marine Pellegrini prend vocalement place, avec grâce, dans les trames de ces derniers. A l’arrivée, le résultat est Atypeek -sans mauvais jeu de mots-, polymorphe, jamais trop poli, et doit autant au jazz échevelé qu’à une forme de rock expérimental, les deux s’alliant pour, sous couvert de la voix narrative ou emphatique de Marine, générer un rendu hors-cadre. On aime à y déborder, j’allais écrire débroder et ça pouvait aussi se tenir. Louise, en ouverture, voit les cuivres exposer, le jazz se faire free, les vocaux narrer sans se marrer. Entre post-rock, jazz libre donc, rock déviant, Polymorphie et son Claire Vénus ne se définissent pas.
MA amène du feutré aux secousses qui annoncent l’orage; l’ensemble, insubordonné, joue sur un fil. Il vacille, oscille, fait du bruit mais se montre tout autant à son aise dans ses esquisses douces. Le morceau est toutefois noir, c’est Marine qui, de son organe vocal lyrique, l’éclaircit quelque peu. Pablo réitère sa performance, l’écrin est cette fois plus posé. Mais sans tarder, il s’agite et joue plus rude, en répétant des motifs addictifs. Le procédé est efficient, il démarque évidemment Polymorphie et son oeuvre. De bourrasques où les instruments explosent en terrains apaisés, Claire Vénus serpente et louvoie jusqu’à gagner nos voix. N’hésitez pas à déposer, dans l’urne, le petit billet destiné à l’acquisition de l’objet.
A chaque morceau joué, l’identité du groupe, forte, marquée, s’implante. Léonard, après Pablo et ses soubresauts, lui confère des atours apaisés. Marceline use de sons de fond répétés, passé la narration inaugurale l’équipée sauvage impose ses ruades, obsédantes. Le rendu est racé, sa virtuosité évite de verser dans l’excès. On y joue bien mais collectivement, soudé à la cause d’un jazz-rock singulier. Les interventions poétiques lui donnent du cachet, de la tenue, et contribuent à le singulariser. Pier Paolo honore Marine, son chant s’y élève derechef. Il précède et accompagne des sons dark, nuptiaux. Immanquablement, le climat dressé capte l’attention. L’Amour, on le devine, on l’entend, n’est pas que bonheur. Ou à l’inverse, il ne génère pas, seulement, l’épreuve. Anna, plein de fougue, de colère, renvoie une urgence, un verbe remonté, qui font la différence. Guillevic dépeint l’après, suivant un déroulé versatile, prompt à s’enflammer à la moindre note. S’y greffe la maestria du jazz, celui qui ne fait pas bailler. La longueur des formats n’est en rien préjudiciable, pour le coup, au tout.
En queue de peloton, Paul joue un jazznoise qui couine et groove. La désillusion y est reine, elle se pare d’élans presque guillerets. On apprécie, grandement, Claire Vénus pour sa texture osée, pour ses humeurs variables et son parti-pris d’une différence assumée. Si lettré il est, il contourne le côté prétentieux parfois inhérent à la distinction verbale, voire à la mouvance jazz qui, si si si ça arrive messieurs-dames, met en scène, à l’occasion, de foutus embourgeoisés. Ici, pas de tout ça. On se frotte aux aspérités, on ne fait, à aucun moment, son précieux. On joue, on imbrique et on jette ensuite des pierres dans le mur, histoire de ne pas faire trop droit. Ca nous donne, au bout du jeu, un excellent opus, amené à voir le jour chez Compagnie 4000 en physique et Atypeek Music en digital.