Helvète esthète tourmenté, « verbé » et inspiré, Régis avait déjà défrayé la chronique avec son premier album éponyme, sorti en avril 2016 chez Cheptel Records, basé à Genève. Ses accents 80’s, cold-wave « and many more » en firent une perle à la Play Blessures d’un Bashung, classe et mal-être communicatif, empreint d’espoir, en sus. On dirait Daniel Darc, physiquement comme dans le mot et L’Enfer c’est nous, son nouvel opus appelé à voir le jour sur la même structure que le précédent, fait lui aussi merveille. En crooner parti chercher l’inspiration dans des lieux péraves, aurait dit le ressortissant de la banlieue, Régis nous a préparé, encore tout chaud, fumant et provocant, un mets relevé. Un disque au groove froid, au pouls électro-cold qui fait la différence et le rend différent. Il y a dans les titres livrés un romantisme magnifique, teinté de rouille et de gris, que l’éponyme L’Enfer c’est nous fait reluire. Psychotique intelligent, nourri au mot non vain, notre homme pue la classe, celle qu’il tire des bas-fonds explorés pour la cause de son disque. Adieu Genève, sur le clip duquel on le voit prendre le large, brille par ses choeurs, par son texte, par son étoffe simple et chatoyante.
Nul besoin de remuer ciel et terre pour, magistralement, faire naître des pépites. Sur la route, qu’on imagine sinueuse, jette une sorte d’électro aux nappes jazzy, où Régis susurre et assure. Parce qu’en plus de captiver, ses compositions sont belles, musicalement accomplies. Elles lui appartiennent, sorties d’un esprit fertile. Sur la route donc, pour un bout d’chemin sur lequel on ne peut rechigner à lui emboiter le pas. Pour une Lévitation froide, soutenue et éthylique, déviante parce que c’est là, dans ce créneau sombre et torturé, que Régis vise juste et touche au plus profond. Ses boucles enrobent le discours, désenchanté dirait-on, duquel émergent des traits plus enjoués.
C’est pourtant la Fin du monde, la sienne a une gueule élégante. Ses contours sonores sont attachants, addictifs même, à force d’écoutes. On y trouve du lugubre aux petits sons qui flirtent, tantôt, avec l’optimisme. Jeune fille combine cold-wave et synthétisme 80’s, de mon côté la dépendance guette. L’Enfer c’est nous, manière de dire que peut-être, la faute n’incombe pas toujours à l’autre. Il n’empêche, l’opus de Régis nous le rendrait presque léger, l’Enfer. Il fait partie, j’en jurerais, de ces oeuvres dont l’écoute possède des vertus thérapeutiques. Je me trémousse, la douleur s’estompe. Elle ne me quitte pas, ancrée, mais se fait moindre. Je t’adore, nouveau lingot imaginatif, presque lascif, tamise la lumière mais ne l’éteint pas. Elle existe, tente de se faire jour dans la nuit de Régis. Comme chez l’Allemand Délage, Régis use de sa voix de crooner, atout redoutable, pour broyer du noir et en faire…du bleu peut-être. Bleu nuit, ou bleu ciel quand au détour d’une chanson, l’horizon se clarifie.
Sur Dieu, le long de six minutes passées entre cold et spatialité des nappes, entre ciel et souterrain et ce de manière alerte et marquante (le titre m’évoque les brestois de Maman Küsters), les sons répétés nous rendront captifs. Tout est fait, ici, pour qu’on s’imprègne de l’univers du Suisse, que Nulle part borde sur un ton cold-wave aux notes finaudes. Nulle part et pourtant, l’audition de ce disque donne l’impression, nette, d’avoir un but, une issue. Se purger peut-être, cracher le mal. Trouver, au bout des mots, l’antidote aux maux. L’Enfer c’est nous, en tout cas, appelle à être joué et rejoué, vécu et investi. Il excelle dans le désarroi, livre une poésie du vague à l’âme qui, ici, extirpe Régis de l’obscur pour le hisser vers les sommets musicaux. Superbe album.