Artiste pluriel et militant, l’Américain BRZOWSKI s’associe au musicien-producteur C$BURNS, ce n’est d’ailleurs pas leur première, pour cracher un brûlot hip-hop foudroyant, sous la forme de ce The Subjugation of Bread sorti en cassette et digital et accompagné d’un lyric/collage book disponible en digital. Il s’agit de la 84ème -excusez du peu- sortie du label Milled Pavement, intègre à souhait. Et pas des moindres, loin s’en faut. En effet, les deux hommes livrent là un ouvrage gavé à la colère, amer et racé, qui se pare autant de traits rock que d’effluves jazzy noircies (Conspiracy of equals). Leur union fait…la force, dirait-on, de dix morceaux à l’impact que Darwin’s Liquor Cabinet, brève mais marquante introduction, place déjà sur les plus hautes marches de l’échelle. La tchatche est assénée, sévère, sans appel. Red lanterns, au groove appuyé sur fond de vocaux qui ne se relâchent pas, balance un pavé dans la mare du bien-pensant soumis. Jason Cornell, de son vrai nom, et son acolyte ont mis de la dynamite, vocale et idéologique, dans leur chaudron qui, bien vite, va entrer en ébullition. Artificial Grey (feat. Alaska), samples inquiétants en sus, percute et use de gimmicks entêtants. Le débit vocal, comme toujours, sonne comme un uppercut dans le menton des connards qui tiennent les rênes de ce monde.
Si la qualité, on s’y attendait, est au rendez-vous, elle prend ici une forme virulente, portée par le ressenti des protagonistes. Le book fourni avec l’album est, de plus, passionnant. Il explicite le procédé du clan de Portland, lui donne tout son sens. In media res, dans un rage d’obédience rock que des sons plus spatiaux allègent, enfonce l’enclume d’un discours lucide. On est chez les vrais, chez ceux qui analysent et se refusent à subir sans broncher. C’est l’une des raisons pour lesquelles, à l’écoute de The Subjugation of Bread, on éprouve autant de plaisir.
Sa force réside autant dans son propos, dans la façon dont il est porté, que dans son étoffe sonore. Grim calculus, lancinant, fait valoir un rap dark. On n’est pas là pour gazouiller, les sons acides s’invitent et noircissent plus encore le tableau. The drugs still work, rock et bruissant, s’abreuve à l’obscur de l’addiction. Ses guitares mordent, son refrain, étonnamment, renvoie un embryon de clarté. C’est du relevé, du lourd et du réel, que la paire nous refile avec ses plages de haute volée. Young Battlestar X est bref mais opaque, marquant. Conspiracy of equals est lunaire et magnifique, pas un seul titre ne fléchira de toute façon. Quant à la diction on n’en parle pas, elle se passe de commentaire et s’incruste irrémédiablement dans les esprits qui pensent et résistent. Vi Coactus, plus loin, pose ses saccades sans complaisance. Pour moi, The Subjugation of Bread est l’un des albums hip-hop « très large » de la rentrée. Le son te rentre dans le buffet, offensif et peaufiné. Un régal total. La fin du morceau obsède, magique.
Avec A Gerasene Throne, il est déjà l’heure de plier bagages. Ce n’est rien, on a notre compte de révolte, de mots forts et le poing se lève, se serre. L’impact est conséquent, l’oeuvre commune à BRZOWSKI & C MONEY BURNS se termine dans un rap qui intègre des grattes bluesy, mais dures. A chaque morceau, on se fait bouger. On est là pour ça, l’éveil des consciences est de mise. En ce sens, doté d’une sortie de toute première bourre, les complices frappent fort, très fort. Notons, pour finir, que les voix ont été enregistrées dans un bunker de Dallas. Tout, en définitive, concourt à faire de l’album en présence un must de sa catégorie, délibérément opposée aux béni oui-oui qui prolifèrent sur le globe.