Oh yes, un disque Glitterbeat! On sait qu’avec le label d’Hambourg, le son qui nous coulera dans les oreilles ne fera pas de révérence à la prévisibilité. Avec Krononaut, issu de la scène londonienne jazz/expérimentale et qui met en scène le guitariste/producteur Leo Abrahams (Brian Eno, Imogen Heap, Jon Hopkins) et le « drummer » Martin France (Nils Petter Molvær, Evan Parker), le constat prend tout son sens. Entouré de collaborateurs de renom (Tim Harries et Shahzad Ismaily à la basse, Arve Henriksen à la trompette et Matana Roberts au saxophone), la paire tisse des vignettes sonores jazzy, oui, mais obscures, illuminées, taillées dans une feutrine qui doit avant tout à l’imagination des comparses anglais. En s’aventurant hors-cadre tout en restant sur des formats la plupart du temps abordables (ou moyennement complexes), ces derniers inventent un langage nouveau, personnel, qui apaise tout en déstabilisant et, à l’occasion, plonge son homme dans des trous noirs soudains. Jena inaugure le récital, basé sur la répétition de motifs, et se termine, justement, dans une noirceur brève. Mob kindu grove et erre, syncopé.
De motifs jouissifs en rythmes grisés, Krononaut mérite la bonne note (bleue, mais aussi sombre). Il exige d’être dompté, va se nicher là où d’autres n’oseraient pas. Il feint la sérénité, rend le jazz, parfois si démonstratif, acceptable à celui dont les écoutilles font preuve de réceptivité. Il faut s’immerger, s’investir, s’oublier peut-être, pour réellement saisir ce que Krononaut met en place. En ce sens, Leaving Alhambra vaut son pesant d’écoutes. L’album, éponyme, profitera aux passionnés, à cette caste qui, comprenant ce qu’elle peut y trouver, lui consacrera une écoute impliquée.
A l’inverse, d’aucuns fuiront. On ne peut les en blâmer (quoique…), Krononaut n’est pas immédiat. Mais comme tout artiste décalé, il dévoile mille et une richesses une fois apprivoisé. Des batteries assénées, sur Power Law, le portent. En cascade, elles se greffent à des plans presque noise. Jazz-noise, dirons-nous. Le projet fait dévier le jazz, le pare d’une nouvelle peau. Son contenu traduit, tout à la fois, beauté et tourment. J’y aurais inclus quelques voix, eux ne le font pas mais qu’importe, le pouvoir d’évocation demeure. Le free Cold blood fait tomber la nuit, ses étoiles jazzy l’ornent d’une lumière tamisée. Il devient facile, au fur et à mesure de l’audition, de s’abandonner à Krononaut. Wealth of nations, où la basse contre le son des cuivres et/ou l’accompagne, démontre que jouer jazz ne signifie pas, fatalement, irriter le client.
Distingué par Mojo, entre autres, le collectif se tapit dans l’ombre d’une mouvance qu’il transcende. Examen passe l’épreuve avec brio, sans fausse note si ce n’est celles que les musiciens rassemblés ici s’évertuent à faire « autres ». Lunaire, l’opus captive. Les instruments y louvoient, les cadences y serpentent. Convocation, pour finir et atterrir, souffle de la saccade funky, loufoque et triturée, à tout-va. Au moment de conclure, Krononaut bifurque de manière plus porteuse encore. Au lieu, à l’image de beaucoup de fins d’albums, de s’assagir, il laisse libre cours à ses écarts. Ses climats ont raison de…notre raison, ils mettent donc fin à une sortie qu’on évitera de conseiller au public rangé. Ca tombe bien; celui-ci est loin d’être la cible privilégies de ces quelques lignes, destinées à mettre en lumière des projets dédiés à l’audace musicale.