Trio dublinois, Shifting comprend des musiciens ayant transité par Hands up who wants to die, No Spill Blood, Vatican II ou encore Molossus. Après un split 7” sorti en mai 2017, Uncle Dad : basse, chant, The Soft Cat : guitare, chant et LewPain : batterie (soit Paul Clynes, Lewis Hedigan et Matt Hedigan) nous larguent un album de noise-rock dynamite, beuglé et joué sans que l’intensité s’en ressente la moindre seconde. Un standard, semblerait-il, quand on écoute l’objet. It was good, donc, très good en effet. Spudgasm, d’une intro bruitiste, louvoie ensuite vers une secousse noise de tous les diables, qui groove bourru. Le chant éructe, les guitares bavent. Le premier jet, compact, aux riffs saignants, est déjà décisif. Spontané, sans façons, l’album va après ça enchaîner « grave ». She’ll do grand, lui aussi haché, livrant un fond noir, un arrière-plan tout en tension, au bord du gouffre. Mazette, les Irlandais font fort! Encore une fois, les riffs font pleuvoir de l’acide. Le registre est grinçant, cependant il rejette des plans au groove subtil. Sa tempérance occasionnelle le renforce clairement. Wonderful destiny, cru, voit les vocaux changer de ton à l’envi.
Ca aussi, ça donne du coffre. Qu’on le veuille ou non, tous les titres signés Shifting sont de haut niveau. Entre force et modération où des motifs finauds se postent, l’affaire est pliée avec brio et inspiration. Big Ed développe un début réitéré. Lourd et fort d’une basse charnue, il dévie façon noise massive. Le tout, encore, sous le joug d’un chant sauvage à souhait. It was good est assurément l’un des albums les plus marquants de cette fin août. Voted most popular, bridé de la même façon que l’était She’ll do grand, met le feu à l’habitacle.
Ca fait du bien, alors que la plupart des sorties se tiendront en septembre, d’avoir une telle bombe à s’envoyer. Big bottle, joueur dans ses sons, renvoie une mélodie viciée. On sent le malaise monter. Pourtant, le morceau s’en tient à son ambiance malsaine, aux reflets psyché. It was good a le mérite, en plus de sa valeur constante, d’offrir un panel qui refuse l’uniformité et s’avère cohérent. Gibberish, intense, tendu, griffe sans jamais, c’est aussi un atout, sombrer dans le bouillon sonique indigeste. La mixture est puissante, mais audible. Je confirme, c’est une foutue révélation que ces Shifting au rendu, parfois, jouissivement 90’s. Little pal, dans la lignée « home made » du groupe, recourt comme le reste à une liste d’ingrédients réduite, extrêmement efficiente. Wild, nuancé comme il le faut et quand ça lui chante, Shifting frappe fort et juste.
Ainsi Pigs from heaven, à la fin ou presque de la dizaine de chansons livrées, lacère sur plus de six minutes tout ce qui lui tombe sous le manche. Le clan n’a jamais besoin, pour imposer son répertoire, de jouer vite, de speeder outre-mesure. Au contraire, ses titres avancent presque paresseusement, mais avec l’effet d’un rouleau compresseur. Le morceau en présence, sur son second volet, vire à l’orage opaque. On cherchera vainement la faute de goût, le temps faible qui ferait baisser le crédit de ce disque bluffant. Dont les voix, de temps à autre, se complètent. C’est le cas sur The bland leading the bland, ultime -très bref- assaut de la rondelle sortie, en France, chez Permafrost, Gabu Records et Assos’y’song.
Les trois labels nommés peuvent se féliciter, leur catalogue accueille en l’occurrence du lourd. Preuve, je me plais à sans cesse l’asséner, que c’est bel et bien chez les « petits », j’entends par là les structures modestes aux idées fiables et attitudes vraies, qu’on déniche les perles. Avec Shifting et ces trois hommes remontés, en voilà la démonstration par dix, à l’issue donc d’un album que d’aucuns, à peine l’achat effectué et je vous le recommande instamment, écouteront à maintes reprises.