Habitué à sortir des pistes balisées, Les Marquises, collectif à géométrie variable fondé par Jean-Sébastien Nouveau, sort avec La Battue son nouvel album, le quatrième déjà. Déjà plébiscité par de nombreux médias, le « dythirambisme » décelé ici et là me rendant sceptique, l’album, singulier, convainc jusqu’à mes sens, pourtant exigeants, de par ses textures exploratrices et ses ambiances sombres traversés de rythmes, et de bruits, qui interpellent. Dans un ombrage songeur en effet, sur des trames remplies de vie, La Battue traque l’auditeur jusqu’à le piéger, le retenant captif de territoires inédits. Qu’il cuivre son registre de manière très free (The trap) en usant d’un chant à la répétition obsédante, qu’il bâtisse un canevas étrange, dépaysant, rêveur et enclin au voyage (l’éponyme La battue), Les Marquises, dans une perpétuelle inventivité, en suivant le fil de déroulés barrés à la Liars, en certains recoins, vise juste. Sur le dit morceau, un tantinet orchestral, tribal et pétri de grisaille sonore, la cuvée illustre bien l’esprit qui anime les intervenants. Ceux-ci, en s’appuyant sur leurs climats anxiogènes, « jouent », presque, à effrayer le badaud. Le procédé prend: on sait que l’émotion, dans ses formes les plus extrêmes, amène souvent à l’attrait définitif, à caractère compulsif voire dépendant.
C’est un peu le cas ici, le The trap nommé plus haut virevolte et joue des sons qui restent en tête. Ca tourneboule un peu, tout ça. Ca a des effets mentaux profitables, Older than fear lorgne vers les paysages sonores d’un Oiseaux-Tempête. La Battue est un album aussi visuel, finalement, que sonique et élégant. Il fait surgir des vignettes, des instantanés de nos vies, réactive des pensées enfouies. Le morceau en question, s’il parait immuable, s’immisce pourtant dans l’inconscient. De manière consciente, en tout cas délibérée. Nouveau et ses acolytes ont le désir de pénétrer les esprits, d’y imprimer une trace profonde, évocatrice.
Ce faisant, ils réussissent dans leur entreprise. Shape the wheel nous emmène dans son « tribalisme », généré par les percussions, qu’accentuent des voix finaudes, perdues dans la brume. Les Marquises projettent une ombre aux limites de la joie, cordée, sur ce morceau. Head as a scree, nuptial et psychotrope, dégage une réelle beauté dans ses apparats noirs. On se place là entre déviance et élégance, on aime à resplendir tout en cheminant vers des détours à la lumière ténue. Les chants, eux aussi, génèrent des sensations fortes. White cliff, sobre et apaisé, semble entrevoir, au bout d’un tunnel à la traversée non dénuée d’effets, le jour. Magnifique, il déploie des abords jazzy feutrés. Mais Hosts are missing, sur fond de cadences électro-indus soutenues, replonge dans de passionnants abîmes. Les Marquises se démarque, complètement, sur ce disque personnel. Les vocaux me font penser, en l’occurrence, à Clinic, formation Liverpuldienne dévouée, elle aussi, au son détonnant.
A la fin de l’épopée, Once back home offre une sorte de drone…assombri, cela va de soi. Une conclusion linéaire mais attrayante, un peu dans la lignée de ce que peut faire My Bloody Valentine dans ses égarements ouatés où le bruitisme se modère, pour situer péniblement le rendu. La Battue est terminée, elle se solde de manière incontestable par un album remarquable, fait d’audace et de pertinence.