De manière régulière, Ici d’Ailleurs sort ou ressort des perles hexagonales ayant, à mon sens et j’estime ne pas être le seul à le penser, marqué l’histoire de la scène d’ici…et d’ailleurs. Avec La Jeunesse est un Art, qui regroupe les deux premiers albums et ep’s de Diabologum et devait sortir, à l’origine, pour le Disquaire Day d’avril, qui se tiendra finalement le 20 juin, le label nous fait une superbe surprise. Si l’objet, un triple vinyl, est déjà magnifique, le contenu est un puzzle sonore tout à tour lo-fi, rock, pop, folk aussi, parfaitement illustratif des courants en vogue à l’époque. Mais aussi et surtout des aptitudes du groupe, conséquentes. Michel Cloup, ayant quitté Lucie Vacarme, fonde donc à ce moment Diabologum avec Arnaud Michniak, Anne « Mademoiselle Ange » Tournerie et Pierre Capot. S’ensuivent ces quatre réalisations, avant le #3 « mythique » sorti ensuite, réédité lui aussi en 2014 par Ici d’Ailleurs. La toute première d’entre elles, C’était un lundi après-midi semblable aux autres (1993), inaugure le recueil et Comme un infriste, son titre introductif, semble déjà, avec son « Attention, à jouer au génie, parce qu’on risque de le devenir », prémonitoire. Musicalement, c’est un essai lo-fi minimal et bricolé à la fois avec naïveté et avec le savoir-faire de jeunes gens qui déjà font bien. Ca dissone, c’est à la fois beau et joliment sale et à vrai dire, c’est un délice de son artisanal, à la fin emballée et emballante. Le discours de la méthode, noisy-pop, confirme que Diabologum, s’il ratisse 90’s, exerce un attrait certain et ire le meilleur de ces années bénies. Mouvances musicales variées, mais aussi cinéma et littérature, imprègnent le travail du groupe. Ca explique le sens du collage dont celui-ci fait preuve, ses penchants bric-à-brac tenus et, sous des abord foutraques, sacrément intéressants. Kill Sub Pop Stars, groove fou et guitares à la Béru dans la sacoche, amuse autant qu’il défouraille. Il sample, assemble: on dirait, tiens, du Beck au sortir de l’écoute du Into the groove de Sonic Youth. Excusez-moi l’approximation.
On trouve sur notre route, aussi, des efforts folk/lo-fi ombragés où les bribes « ciné » s’incrustent (Logo), un Too much sleep dream-pop à la rêverie enveloppante que guitares crues et sample décorent ensuite. L’éventail Diabologum, ouvert en grand, s’émaille de chansons qu’il aurait été malvenu de laisser sombrer dans un relatif oubli. Et puis on fond devant la reprise, merveilleuse, du Courage des oiseaux de Dominique A. Sons en boucles, obsédants, et la voix de Michel qui, même en solo quelques années après, touche au coeur et à l’âme. Dans ses triturations, Diabologum assied une identité, renvoie le charme d’un clan aux débuts dotés d’influences bien réinvesties. Point d’impact confronte patine folk et allant d’un jeu de guitare alerte, sobre aussi. Chanson bateau est loin de l’être, son ornement le fait briller. Sticky hair-pin se hasarde, se fait subtil, puis s’assombrit. One million kisses, d’un jus indé appuyé, entérine l’impression favorable que l’opus laisse derrière ses notes. Fotogena, qui passe du coq à l’âne, se démarque pourtant. Le groupe imbrique les genres sans sombrer dans l’à peu près. C’était Un Lundi Après-Midi Semblable Aux Autres et pour autant, on le vit ici parfaitement bien. Je ne reviendrai jamais, clame son ultime morceau à la patine délicate.
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Et pourtant survient, dans sa foulée, Le goût du jour. L’immense L’art est dans la rue, un de mes hymnes, l’inaugure. Pas en grandes pompes, ce n’est pas le genre de la maison, mais avec une verve, et un brio, confondants. « Tout est permis », ainsi Diabologum ose tout, stylistiquement, et trousse des textes déjà dignes d’attention. Sucrerie façon Anne (Histoire de flesh), rock bourru et mélodique (Le jeudi tout est dit) et, toujours, un assemblage de sonorités, de sources d’inspiration, plus que plaisant au final (Heaven boulevard, lui aussi d’un rock mordant où apparaissent, au détour du chant, Basquiat et autres icônes) distinguent Diabologum. Mieux vaut se taire est beau, sensible, touchant. Je replonge, sur La jeunesse est un art, dans les entrailles de ma jeunesse. On tentait de s’y affirmer, comme le font ici les toulousains. Eux, à ma différence, y parviennent. On ne peut nier la portée, hétéroclite certes mais enfantée avec ingéniosité, de l’ensemble. La facilité, que mister Cloup évoque dans le titre du même nom, suivant un bel unisson avec Anne, n’est pas forcément de mise. Mais le rendu, immanquablement, captive. Il y a, dans le décor des chansons, une foultitude de bruits bien trouvés. Palladium rock, charnu, ne dénotera pas. Le groupe tient bon la barre, The ballad of the boy wonder est une perle lo-fi qui valide l’avancée, audible, de Diabologum. Les garçons ont toujours raison, une de mes références ultimes, encore, aura…raison. De nos éventuelles résistances. J’en adore la dualité vocale, la sève pop-rock espiègle, les textes aussi. L’usage des mots, folk et élagué, repose sur un lit de cordes, et un enrobage, encore une fois imaginatifs. Ding a dong (down down) nous jette une mélopée pop cotonneuse, Fusées développe une trame un brin psyché. Enfin Pea, lui aussi « à poils », clôt de belle manière ce Goût du jour loin d’être fade. D’un début doux, il évolue vers une terminaison noisy, criée comme le ferait un Cobain.
On en vient alors à la partie EP’s, Les Garçons Ont Toujours Raison et sa bombinette éponyme ressurgit. Je prends une nouvelle bouffée -d’air frais, de jeunesse perdue mais pas si lointaine, elle renaît ici, à vrai dire- en pleine poire. Pourquoi discuter, à quoi bon? Diabologum a toujours raison, pour nous…. Tannis root ne lui donne pas tort, en tout cas. Il opte pour un déroulé folk assez animé, Anne y place ses mots sentimentaux. Ca m’évoque, tout ça, mes nombreux moments de « timidité » face à la gent féminine, à cette époque. C’en est d’autant plus touchant. Diabologum, en plus de signer des compositions de choix, mouille les yeux. Il a de plus le bon goût de reprendre Aussi belle qu’une balle, de Taxi Girl, entre voix ténue et grondements sonores soudains. Puis il finit, s’agissant de l’ep en présence, sur un Dogs au rock déchaîné. Une ruade grungy du plus bel effet, qui précède L’Art est dans la rue.
Ultime EP, donc, auquel il revient de terminer cette réédition, il nous gratifie, comble du bonheur auditif, de sa chanson éponyme. A flash in my heart fait lui aussi dans le rock énergique, mais laisse place à des ritournelles soignées. L’art -de l’assemblage- est chez Diabologum. De tels actes de renoncement, où point déjà la perspicacité de Michel Cloup, parfait la fin des réjouissances. Adieu Paris l’embellit entre guitare acoustique de belle facture et montées tenues, véhiculant un certain ressenti. Puis Transmission-from onion soup vinyl, après un début bordélique, reprend Joy Division en larsenant allègrement, suivant une tonalité écorchée. Le Video killed the radio star des Buggles, brusquement, s’y invite. C’est du tout bon, cette ressortie. Un délice, étourdissant, un florilège de chansons libres et addictives et, également, des débuts n’augurant que très peu, voire aucunement, de l’album qui suivra. Pour moi indispensable, pour ceux qui ont mis l’objet « sold out » tout autant et pour le néophyte, 34 plages à écouter et réécouter avec au bout du compte la découverte d’un groupe singulier, précieux et productif.