Troisième album de Liesa Van der Aa, Easy Alice vit l’anversoise continuer, cette fois sur un registre funky aux atours divers, à nous surprendre. A nous dérouter, à se faire attendre là où elle ne sera pas. A inventer et réinventer aussi, depuis l’inaugural Troops paru en 2012 puis sur le chargé WOTH (Weight of the heart) de 2015, un répertoire versatile, imprévisible. Exigeant également, comme l’est ce disque qui, aux premières écoutes, m’a fait décrocher. Trop d’étrangeté, de bidouillages, de salves à la Prince. Mais l’opus, album-concept basé sur son double Easy Alice, femme forte, speed, puissante, presque macho, est de ceux qui ne se livrent pas de prime abord. Il faut aller le chercher, s’en extraire parfois, peut-être, comme j’ai pu le faire, pour ensuite y revenir. Barré, extravagant, celui-ci m’a donc, après ce temps de « digestion », conquis. Fait de bribes disparates, d’éléments que Liesa, douée, assemble de manière improbable et, au final, captivante, il déploie des sons passablement schizophrènes, des vocaux et grooves fatals et n’opte pour aucun sentier sonore déjà jalonné.
On est ici en territoire Van Der Aa, celui-ci ratisse large et chaloupe sévère. D’élans funk, donc, en encarts vaguement psyché (Melody, en ouverture), il n’omet pas les inclusions hip-hop, s’habille de sonorités singulières à souhait, et (me) réjouit au plus haut point quand, offensif, il se fait rock…de manière hybride bien entendu, me ramenant au jour déjà lointain de mon achat du Pretty hate machine de Nine Inch Nails (Cynical brothers, un must!). Inhale -diantre, ce groove, ces basses!-, ondulant, est une pépite. De syncopes rythmiques en voix r’n’b, dans un déluge tour à tour dru et aérien, loufoque et dansant, il perfore toute volonté d’opposition. Dans le shaker, on inclut des dialogues, on télescope les genres et au final, en lieu et place du souk incohérent auquel on pourrait s’attendre, on obtient un assemblage à la renversante pertinence.
Avec ses fiables acolytes, soit Dries Laheye: bass, Niels Broos: synths, Lander Gyselinck: drums et Elisabeth De Loore: piano, Liesa Van der Aa pose les bases d’un univers sien. On ne sait de quoi ses ouvrages à venir sont faits, on saisit toutefois que dans l’inespéré, c’est ici et une fois de plus le cas, elle donne le meilleur d’elle-même. Pink haze, jazzy, trip-hop, confirme que ce Easy Alice trouve sa sève dans les écarts. Ses boucles obsèdent. Ses breaks font valoir, au delà du caractère expérimental de l’ensemble, une haute musicalité. Parce qu’ici, on est certes dans l’errance -créatrice-, mais on ne fait pas n’importe quoi. Le tout est pensé, Coming home impose ses soubresauts, ses abords indéfinissables. Ses saccades et encarts venus de je ne sais quelle contrée font la différence.
Helicopter, quelques bizarreries plus tard, suit cette même voie syncopée. Avec bonheur et avec, aussi, le même effet saisissant. Bruno convoque le Français, fait dans l’intime troublé, ne rentre lui non plus dans aucune case. C’est du Liesa Van der Aa qu’on entend là, voilà tout. Tirons-en profit, ce n’est pas tous les jours qu’on peut se frotter à de tels essais. L’éponyme Easy Alice confirme l’impression qui, depuis que je suis rallié à sa cause, me hante: l’album, s’il risque d’en renvoyer plus d’un à l’écoute de contenus plus abordables, mérite une investigation insistante. Une fois assimilé, fort de ses bruits dingues et collages audacieux, il possédera ceux qui n’auront pas baissé pavillon. Ce sera alors Maximum joy, comme l’indique l’avant-dernier jet de ce périple unique. Un essai de plus de huit minutes, alerte, basse jouissive sur le dos, breaks trippants en sus, qui ralliera les corps et titillera les esprits.
Photo David Williamson
Sur des durées qui s’étendent, Liesa referme son emprise. IJSTIJD, toute dernière chanson à la fois cosmique, sonique, fine et brute, fait convoler des genres dont l’imbrication fait qu’on les reconnaît à peine. Les pistes sont brouillées, l’obsession naît de ces sons répétés, à l’occasion du dit titre comme à la réécoute d’un disque dont la découverte, à ce moment précis où on se dit que ça y est, on l’a en mains, ne fait que débuter. Singulier et passionnant.