Paru à l’origine en 2004, le bijou commun à Yann Tiersen et Shannon Wright ressort en ce début du mois de juin sur les deux labels oh combien précieux l’ayant initié…initialement. Vicious Circle donc, spécialisé dans ce type de perle et ayant à son actif un catalogue de qualité supérieure, et Ici d’Ailleurs dont les références, jamais communes, parcourent un spectre large et aucunement convenu. Premier constat: le vinyl est magnifique. On adhère d’autant plus que l’opus n’était toujours pas sorti sous ce format et la pureté troublée de No mercy for she, son fond inquiétant dans sa majesté, nacrent d’emblée les oreilles de l’auditoire. On le connait, ce chant susurré et pourtant, de manière récurrente, il nous touche aux sens. Le fond sonore, derrière, monte en puissance; on jurerait qu’à l’issue, il implosera. Il n’en est rien, la duo s’en tient à une une retenue formidable d’intensité, de sensibilité aussi. Si l’union de ces deux-là aurait pu étonner, elle sonne ici comme quelque chose de complètement naturel. Dragon fly, de ses accents bretons et marins, s’appuie sur le chant de l’Américaine pour tutoyer l’échelon le plus élevé de la grâce.
Chacun, ici, met de ce qu’il est, dans l’harmonie avec l’autre, au service du rendu. Chacun des titres joués à deux aurait pu se retrouver sur un disque de l’un ou de l’une, les violons du Breton servent d’écrin à un chant reconnaissable entre mille. Lyriques, ils bifurquent aussi, grincent et dépaysent. Sound the bells, de son piano ombrageux, impose des montées en vagues, un brin impétueuses. On y navigue entre quiétude et tourment, l’émotion en est comme partout ailleurs le fil conducteur.
Something to live for, épuré, m’impose un constat: à l’image de son digipack, la paire se passe de grand discours, se voue corps et âme au son qu’elle enfante. Dried sea, d’un début sage, s’enhardit ensuite. Bruitiste et ajustée, l’embardée ajoute au relief d’un disque superbe. Il y a, au détour de l’écoute, du PJ Harvey dans ce titre. De plans « sages » en écorchures vives, l’ouvrage duel se fait même franchement rock, mordant avec la splendeur sonique qu’on lui connaît, sur While you sleep. Shannon, batailleuse, fait rugir la guitare et à ses côtés, son compagnon de route débride ses violons, m’évoquant Deus sur son Worst case scenario. Avec Ode to a friend, on renoue avec un ton étincelant, chatoyant, qui d’ailleurs prévaut sur l’album en présence. Ways to make you see, entre clarté et tonalités grisées, limpidité et notes troublées, consacre deux artistes à l’accord audible. Callous sun lorgne vers un rock rude et élégant, il dévie avec éclat.
Amical et belliqueux, l’opus appelle à des écoutes dont la répétition permettra de l’assimiler. Pale white, doucereux, lui assigne un dernier galon. On salue l’idée, louable, de ces labels qui de toute façon, n’offrent aucune faille dans leurs choix. L’objet mérite, au delà de l’achat, de devenir pour tout acquéreur un refuge, un havre de paix aux secousses qui nous rappellent que même en lieu sûr, dans des recoins apparemment sereins, guettent des climats houleux, magiques, qui achèvent de magnifier le travail de deux acolytes à la symbiose incontestable.