Sorti à l’origine le 4 octobre 2019, chez A Tant rêver du Roi et Luik Music, le Pain & Pleasure de Bison Bisou, lillois frénétiquement post-punk, est édité en K7 (superbe objet, une fois de plus) par le micro-label Ideal Crash, de Rennes. Tirée à 50 exemplaires et livrée avec une photo de N.Djavanshir, destinée à marquer les 15 ans de la structure Ideal Crash, la cassette colorée marque tout autant l’auditeur, sur le plan sonique, tant elle envoie de bout en bout. Si à première écoute je ne fus que partiellement convaincu, aujourd’hui l’album rafle la mise sans remise au sein de ma petite entreprise. New grounds et ses secousses noise, ses plans math détonnants, taille déjà dans le granit. Les nordistes s’évertuent à créer un son personnel, c’est en bonne voie et ça donne de la voix autant que ça fend le bois. De stridences bien émises en vocaux criés-nuancés, un peu comme chez Mnemotechnic « from Brest », les cinq acolytes dynamitent la place. Path in the whirl, trépidant, sonne de façon similaire à un Girls Against Boys frappé par la foudre. Une pluie de sons dissonnants s’abat sur le morceau, ça y est c’est parti: on est lancés, à toute allure, dans la capsule Bison Bisou. Ne nous attendons pas à un voyage tranquille, celui-ci se fait dans la turbulence et l’excellence.
A qui se plaindra qu’il « ne se passe rien en France » (certains le prétendent encore, ils vivent à mon avis de manière encore trop…confinée, pour ne pas faire de mauvais jeu de mots sur la période dont nous sortons à peine), Pain & pleasure est l’une des meilleures réponses possibles. Dad tomb, entre rythme alerte et groove post-punk relevé, mord les fesses. On trouve de belles décharges, sans ménagement mais plutôt bien préconçues, sur le rectangle vert et rose plus qu’authentique fabriqué à la main par Ideal Crash. On peut même, avec Summer eye, mettre les pieds dans une tourbe plus directement mélancolique; ça prend, on est bien loin de s’y enfoncer. Une embardée psyché déjantée accompagne le titre, qui se finit en fracas noisy. Nostalgic pleasure, nourri à son tour par des bruits inédits, développe une intro étendue, aux relents noisy, encore, façon Sonic Youth, qu’il maintient jusqu’à son terme. Bye bye cold riot, tout en soubresauts tendus, rugissants, valide l’intronisation de ce clan chez les grands. Parce que oui, ça y est, Bison Bisou est grand maintenant.
De ce fait, il fête ça dans la colère non-dissimulée d’un Moist ends, percutant. Ca me rappelle, tout çà, d’autres lillois s’étant illustrés à l’aube des 2010’s et ayant pour nom The White Loose Woman. Les ayant vus à l’oeuvre au défunt Babylone, bar de ma ville dont la scène se trouvait au sous-sol, je trouve chez Bison Bisou (vus également dans cette même cité amienoise, à la Lune des Pirates cette fois et c’était pas rien) une vigueur, une déjante orchestrée et chaotique, de même teneur. Et ce n’est pas Parking lot, truffé de sonorités qu’on ne peut contrôler, qui me fera mentir. La voix, multi-terrains, épaule idéalement la débauche sonique de ces dingos doués et fiables. Parallel power, galopade noise versatile, écrase tout ce qui entrave sa marche. Entre sauvagerie et modération ingénieuse, les Bisous du Bison sont plutôt appuyés. Ils y mettent de la tendresse, de l’amour même, pour qui y prêtera l’oreille. Mais leur impact va bien au delà des sentiments ressentis et renverseraient le plus costaud des colosses.
Sur la fin New friendship (ben oui, avec de tels ouvrages, on élargit son cercle!), court, sent le psyché vicié. Il aurait toutefois gagné, à mon sens, à s’étendre un peu plus. Puis Peaches forever, qui inclut tus les éléments propres au groupe et constituant sa marque de fabrique, jette une dernière brique dans la vitre. Direct mais peaufiné, subtil dans ses atours wild récurrents, Bison Bisou fait verdoyer, à l’instar de sa pochette, le paysage musical d’une France qu’à l’occasion de ses sets live, il plonge dans la transe. Mention très bien, messieurs, pour tout cela.