A quelques mois de la sortie -repoussée-, chez Toolong Records, d’un album avec Roddy Bottum de Faith No More, le clan « from Toulon » répond via son leader Régis Laugier aux questions de Will Dum…
1) Je vous ai découverts en 2010 avec How to make friends, sorti en 2010 chez les excellentissimes, si je ne m’abuse, Le Son du Maquis. J’ai adoré, chronique dans la foulée ! Depuis, peu d’infos filtrent à votre sujet et pourtant, vous sortez des disques audacieux, collaboratifs à souhait et très aboutis. Je me trompe ou vous oeuvrez dans une relative discrétion ? Cela correspond t-il à un désir de votre part de ne pas vous exposer, d’échapper à un battage médiatique parfois irritant ?
Depuis How To Make Friends, nous avons sorti plus de dix albums et un certain nombre de formats courts ou intermédiaires, liés à des installations pour des lieux d’art voire à des commandes de bandes originales pour des films. Nous avons également produit trois films documentaires, portraits singuliers de musiciens d’un certain underground américain: R. Stevie Moore à Nashville, Alain Johannes dans le désert de Mojave en Californie et Lee Ranaldo à New York. Toutes ces sorties ont pu s’opérer via différents labels établis dans le monde entier, français, portugais, italiens, américains et même libanais. Certains ont un écho et des moyens plus forts que d’autres, ce qui peut en partie répondre à ta question. Il est vrai que, parfois, la presse est plus réactive dans le périmètre immédiat du pays de rattachement du label.
Pour la France, nous avons eu de beaux retours pour nos deux albums enregistrés en Corse et sortis sur le label – plutôt orienté musiques traditionnelles – Casa Editions. Le reste de notre discographie est en grande partie proposées sur des labels étrangers. De notre côté, il n’y a pas de désirs particulier en la matière, même si l’acte créatif nous intéresse plus que « l’après ». Ceci dit, nous répondons toujours aux sollicitations en fonction du projet à présenter et des intérêts avancés. Plus largement, les réseaux sociaux et notre newsletter (abonnement via notre site) sont là pour ternir informé notre public quant à nos multiples projets.
2) Sur l’album à venir, vous collaborez étroitement avec Roddy Bottum, de Faith No More. Mais aussi, dans un autre cadre, avec Jad Fair. Comment en êtes-vous venus à travailler avec de telles personnalités ? (Je pourrais d’ailleurs ajouter, pour faire court, Lee Ranaldo, Mike Watt ou encore Alain Johannes (Queens of the Stone Age, Them Crooked Vultures).
C’est une question récurrente depuis notre tout premier album, sur lequel figurait déjà Earl Slick, The Legendary Tigerman ou encore Robert Aaron. L’approche collaborative a toujours été le leitmotiv incontournable de notre trio à géométrie variable. Tout n’est qu’une question de musique et non de calcul ou de business. Nous avons fait plus de 150 collaborations depuis 2006, parfois avec des musiciens renommés, parfois avec d’autres totalement obscurs. Rien n’est calculé à l’exception de cette seule question: « quel artiste intéressant inviter dans le cadre particulier du projet à venir? »… que ce soit en studio ou sur scène. Nous agissons tels des programmateurs pour une événement déterminé. Et, au regard de notre discographie, le champ des possibles est très large à chaque fois: des musiques expérimentales au jazz, de l’électronique aux musiques traditionnelles, d’une certaine pop aux musiques improvisées en passant par du rock plus musclé. Nous sommes intéressés par de très nombreuses musiques, que nous explorons avec un plaisir systématiquement renouvelé.
Nous invitons toujours un musicien à participer à un projet pour ce qu’il est en tant qu’artiste et non pour ce qu’il peut représenter comme icône éventuelle d’une scène déterminée. Savoir retranscrire cela dans une conversation initiale permet de concrétiser des rencontres inattendues, surtout avec certaines personnalités. Seule la musique doit être au cœur des préoccupations. Après toutes ces années et ces échanges établis, il y a bien sûr un certain effet boule de neige où une rencontre en appelle une autre. Même si le hasard appelle aussi de nouveaux projets, comme avec Roddy Bottum.
3) Vous voyez-vous comme un collectif, d’ailleurs, plutôt que comme un groupe au line-up d’ores et déjà défini et définitif ?
Nous avons toujours définit notre groupe comme un « open quatuor », aujourd’hui « open trio ». C’est à dire qu’il y a un socle de trois membres permanents, auquel s’ajoutent systématiquement des invités. Nous sommes une sorte de club fait de membres permanents et occasionnels. Le nom du groupe renvoie totalement à cette idée.
4) Pour en revenir à l’album avec Roddy Bottum, quel y est l’apport de ce dernier ? N’est-ce pas « impressionnant », quand bien même vous êtes rompus à ce genre d’exercice, de se mettre à l’ouvrage avec un tel personnage ?
L’apport de chacun est très simple sur cet album: Hifiklub a composé la musique et imaginé les structures, Roddy a écrit les textes et posé les mélodies des voix. Comme à chaque fois, les choses se sont déroulées le plus simplement du monde, dans une ambiance extrêmement décontractée et respectueuse des objectifs que nous nous étions fixés en amont. Nous invitions un musicien singulier rencontré à l’occasion d’un vernissage à New York. Un musicien apprécié de certains membres permanents du groupe, certes, mais qui n’est pas venu avec ses disques de platine sous le bras non plus. Le moment doit s’inscrire dans une relation de musicien à musicien. Il ne s’agit pas de confronter « connu vs. inconnu ». Sinon la rencontre deviendrait bancale et la collaboration ne fonctionnerait pas. Il faut avancer avec respect et humilité, certes, mais sans trop en faire. J’ai eu toutes les conversations possibles avec Roddy, sauf celle qui consisterait à parler particulièrement de ses groupes.
5) A l’écoute, je trouve ce disque envoûtant ; il surprend par son côté posé mais obsédant. Il « refuse de dire son nom », dans le sens où on ne peut définir son style de façon précise. Est-ce une marque de fabrique de votre projet, ce côté inclassable et imprévisible ?
Merci d’avoir pris le temps de l’écouter. Je dois bien avouer qu’il s’agit là d’une remarque qui me rend particulier heureux: le caractère difficilement classable du résultat. L’idée de base était de s’orienter vers des compositions a priori simples et dansantes, relevant de groove gorgés de soleil. La voix et les textes de Roddy ont teinté l’ensemble d’une noirceur très particulière. Comme un spoken word qui ne relèverait pas de l’exercice habituel des musiques expérimentales, mais plutôt d’une certaine pop, pour une fois. Et puis la production moderne d’Anthony « Daffodil » Belguise a propulsé l’histoire encore plus loin. Nous lui devons beaucoup.
6) Vous venez de Toulon, avant de vous découvrir je ne connaissais de cette ville que Luigi Alfano, David Ginola ou Bernard Casoni. Ne seriez-vous pas les ambassadeurs d’un rock « made in Toulon », ou existe t-il là-bas d’autres formations méritoires ?
Et Laurent Paganelli! Et Jean-Louis Bérenguier! J’ai toujours les maillots de Pascal Olmeta et Jean-Pierre Mottet! Quels joueurs! Je ne pense pas que nous soyons ambassadeurs de quoi que ce soit mais nous aimons rassembler, ça c’est vrai. Il y a eu et il y a toujours tellement de bons groupes ici. L’histoire n’a peut-être pas été tendre. Ou les étoiles n’étaient pas bien alignées, plutôt. Nous sommes à l’initiative d’un projet à sortir à 2021 qui consiste en un jumelage factice entre les villes de Toulon et de San Pedro en Californie, d’où Mike Watt est originaire.
Cette nouvelle étape discographique aura également une branche art visuel et une autre éditoriale à l’occasion de laquelle nous avons sollicité le journaliste Maxime Delcourt pour qu’il écrive l’histoire de musiques souterraines à Toulon. Le titre du projet sera prochainement dévoilé, mais je peux d’ores-et-déjà te dire que, sur le plan musical, 25 musiciens y participent, dont les membres de groupes toulonnais tels que Bara Bandai, Twin Apple, Les Somnambulites, Sarah Maison, Potochkine, Lèvres de Beurre, At Dawn We Are Kings, CM Sludge, The Spitters, LuneAppache ou encore Brother James. D’autres groupes ont aussi pu participer à des projets passés, tels que On Dirait Le Sud ou How To Make Friends: Appletop, El/ Hell Botcho, Get Back Guinozzi!, Newfoundland, des membres de Mina May… et bien d’autres.
7) Vous êtes très réguliers dans vos sorties discographiques, qu’est-ce qui explique ce côté prolifique ? Qu’en est-il, par ailleurs, du live ?
Côté live, nous privilégions les occasions uniques favorisant les collaborations sur scène plutôt que les tournées, qui ne sont pas, dans l’idée qu’a le groupe des expériences singulières, non redondantes, dans l’ADN du groupe. En attestent notamment nos soirées « Nightklub », que nous réalisons chaque année au sommet du mont Faron à Toulon. Nous avons souvent la possibilité de nous produire sur scène, pour des concerts « musicaux » bien sûr, mais aussi lors de performances, lectures ou encore ciné-concerts. Le groupe assurera du reste en septembre prochain au Havre l’ouverture du festival Terres de Paroles, pour une lecture en compagnie de Charles Berling.
8) A l’amorce du déconfinement, comment se sent Hifiklub ? Cette période a-t-elle eu un influence prégnante sur vos projets ?
La période du confinement nous a fait fort heureusement vivre de superbes expériences artistiques, pour la première fois depuis longtemps en open trio et non en open quatuor comme lors de ces dernières années. Hifiklub n’a pas chômé durant la quarantaine en réalisant deux nouveaux projets avec les moyens à sa disposition. D’une part, un album instrumental complet avec le producteur Anthony « Daffodil » Belguise, le trompettiste de jazz expérimental Reuben Lewis et Matt Cameron (Pearl Jam/ Soundgarden). A sortir en digital début juin.
D’autre part, un single avec Jad Fair (Half Japanese) pour le compte de la compilation du label américain Joyful Noise Recordings « Safe In Sound (Home Recordings From Quarantine) ». Une vidéo du photographe Maxime Chanet vient d’être dévoilée du reste: (lien). Les mois à venir sont pour nous extrêmement chargés, avec notamment la sortie de l’album « Things That Were Lost In The Fire » (Roddy Bottum) sur Toolong Records et l’enregistrement d’un nouvel album à Chicago.