Le confinement? Ah ouais, pas évident. Soit tu regardes Netflix, ce qui contribue à ton creux existentiel. Soit tu rebondis, tu crées, tu fais du singulier. Avec Grosso Gadgetto, artiste « dark experimental » venu de Villeurbanne, on s’inscrit clairement et continuellement dans le seconde option. Sans cesse à l’ouvrage, le musicien collabore ici avec Black Saturn, venu lui de Washington, d’une manière assez improbable, qui plus est en temps de confinement, et porteuse à l’arrivée. L’ep qui en découle, Earthproject, combine hip-hop, trames sombres sorties de l’underground indus et séquences narratives, dont Projet 00, premier des six morceaux créés, donne une trop brève idée. Pourvu que l’ep ne s’en tienne pas à ça, me dis-je alors, craignant la succession d’esquisses inabouties…tout en sachant bien que ce n’est pas le genre de la maison.
Eh bien que nenni, les deux acolytes dévoilant avec Projet 01 un univers souterrain, obscur et fascinant, sur fond de noise-rap qui doit, pour le coup, à la fois au drone et à un shoegaze linéaire et pourtant en relief. Voilà ce qu’on attendait, de façon conforme à ce que fait très souvent Grosso Gadgetto; du démarqué, de l’original, toisant la norme avec mépris. Chose que Projet 02, cadence indus marquée et vocaux haut perchés (Saturn(e)?), déroulé lancinant et scories psyché associées à des bruits dérangés dans la cartouchière, fait avec aplomb. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est autre chose que le duo va chercher, dans la veine d’un Dälek ou d’un Moodie Black, dans le sillage rapgaze qui depuis un moment déjà se fait une place, légitime, dans le monde du son « autre ».
Avec, en plus, une robe dark parfaitement tissée, le tout sonne comme une évidence; l’idée est bonne, l’association authentique et aucunement forcée. Une impression de…confinement, justement, émane du tout. Un confinement, pour le coup, oppressant certes, mais ayant le mérite de nous emmener dans d’autres recoins où on aimera à s’égarer. Projet 03 et son errance fructueuse nous y pousse, beat hip-hop et pluie de bruits angoissants s’attaquant au cortex, à notre capacité à contrôler, pour nous extraire de notre piètre condition. Projet 04, à sa suite, use des mêmes éléments, louche semblerait-il vers un dub mutant, explore à la fois les ténèbres et des sphères élevées. On « plane bas », l’effet est une fois de plus avéré. « Viens par ici », nous dicte Earthproject. On le suit, déterminé à vivre le moment jusqu’à son terme.
On l’imagine bien, ce registre à part, joué sous lumière faible, en lieu approprié donc forcément décalé. J’en connais qui aimeraient, grandement, ajouter ce projet à leur calendrier live. Les comparses devraient y réfléchir, c’est peut-être compliqué en apparence mais ça vaudrait le détour et ça constituerait, assurément, une expérience marquante. Comme l’est Projet 05, dernier morceau d’un céleste noir et trituré, porté une fois encore par un rythme massif. Un EP probant donc, renforcé, en outre, par son côté inattendu et révélateur de l’aptitude de Grosso Gadgetto, et de son complice du moment, à creuser des sillons encore peu exploités.