Label souterrain et mystérieux, c’est souvent le signe de sorties « identitaires » à souhait, L’Eglise de la Petite Folie a des allures de collectif où tout un chacun peut appuyer le travail de l’autre. On ne s’étonnera donc pas, sur ce nouvel album d’Arnaud le Gouëfflec, L’Orage, de retrouver nombre de « collabos bienfaisants » parmi lesquels se trouvent, entre autres, John Trap, Olivier Mellano, Thomas Poli ou encore ooTi et sa voix féminine. Ainsi entouré, le Breton s’aventure dans des eaux rock tantôt tumultueuses, souvent sous-tendues, sans se départir de son poétisme dans le verbe (Guerre de 30 ans). Entre classieux et racé, entre déviance et sobriété, l’homme et son gang façonnent un opus de haute qualité, comme de coutume sur les bancs en bois de l’Eglise de la Petite Folie. C’est Beau pêcheur, où on ne pêche pas du point de vue du rendu, qui d’emblée illustre le procédé appliqué: élégance du verbe, en dépit, parfois, de la diction de choses graves, et versatilité d’un fond tourmenté se donnent le change. Le tout tient sur un fil, prêt à imploser. C’est la musicalité de l’opus, récurrente, qui le laisse dans ce précaire équilibre.
On aimerait presque, même, qu’il s’emporte et laisse le torrent déferler plus souvent. Climatique et…orageux, il monte en puissance, sur ce titre inaugural, magnifiquement. Une batterie en vue martèle le tempo, derrière elle on s’affaire à troubler les cieux. Le meilleur pour la fin, dit le second titre. Le meilleur de suite, répliquerai-je. Ca imprègne, ce penchant vicié qui met de douces taloches au mot d’Arnaud. Un blasphème, aux airs de Miossec en verve, rythmé, brille de par ses chants unis et son décor chatoyant. « Je t’ai composé le plus beau des blasphèmes », prétend t-il; il serait dommage de n’en tirer aucun profit.
Plus loin, Milarepa libère une pop belle, avenante. Une chanson forcément expressive, connaissant l’impact du texte façon Le Gouëfflec. L’Orage est moins nourri, il garde toutefois du chien. Fin de règne, où on croirait entendre des tambours militaires, de pair avec des sons fins, renvoie le même éclat chanson. A l’écoute, je pense de loin au titre « Les Enfants » des Young Gods, sur un ton moins percutant, bien plus léger. On a alors passé la moitié de l’effort, Tout homme a son prix impose à ce moment, dans le même mouvement, sa beauté, sa dualité vocale, sa pop animée et ses paroles lucides. L’ornement concocté est ajusté, sans démesure, mesuré donc. Guerre de 30 ans, cité plus haut, valide ensuite la portée d’un disque aux belles portées. Notons, petit regret, la moindre intensité de l’Orage de fond qui habite le joli vinyl en jaune et noir. On a tout de même droit, ici, à un paysage brumeux, vaporeux, qui englobe le morceau. Après cela La flamme de la chandelle, électro en vêture, se pare d’une peau également assombrie, sans complètement « péter » et imploser. Ca n’empêche pas, ce relatif « assagissement », la fréquente bonne tenue de l’ébauche à l’occasionnelle débauche.
Passé l’orage, au quasi-terme de L’Orage, suinte un mid-tempo enjôleur, oui, mais aussi clair-obscur. Ces teintes et tendances lui vont bien, à notre Arnaud. Elles habillent avec joliesse, sans en faire un Prince de Galles -on n’est pas non plus, ici, dans le chic de la « haute »-, les efforts de ce combo cohérent. Alors Rigmarole, noir et narratif, surprend une dernière fois. On ne peut le qualifier; électro-dark…black-métal peut-être, dans ses soudaines incrustes abyssales aux allures de drone. C’est là que Le Gouëfflec excelle, dans ses pertes d’équilibre qui le laissent pourtant debout et hagard, chancelant et impertinent. L’Orage s’achève ainsi, dans un bain de gris sonique représentatif d’un trouble certain. Tout ce petit beau monde, et par extension l’Eglise de la Petite Folie, peut se targuer d’ajouter à sa collection une nouvelle pièce majeure, honorée par ailleurs, ici et là, de façon tout à fait compréhensible.