Quelques mois après la sortie de l’excellent Hébéphrénie, promu par Julien Fernandez et paru sur le label de Pedro Peñas Robles, Unknown Pleasures Records, KLEO PATTERN et ALMOND BLOSSOM nous en disent plus sur leur projet isérois.
1) L’un de vos derniers lives d’avant-confinement s’est tenu dans ma ville, à Amiens, fin février. Quel souvenir en avez-vous ? Et au-delà de cette date, que retenez-vous de la dizaine de concerts ayant émaillé le début 2020 ?
K.P.: L’accueil froid c’était super ! C’est un lieu où je me sens comme à la maison. Y’avait une ambiance de braise! Les personnes qui organisent et accueillent sont des perles. Dans l’ensemble j’ai adoré la tournée– j’aime beaucoup être sur la route, mais celle-là a un goût spécial parce que ça faisait longtemps que Lovataraxx n’avait pas pris la direction de l’ouest, que c’est trop bon de se retrouver dans des lieux qu’on connaît bien, de passer du temps avec les ami.e.s; et puis cette tournée nous a amenés à jouer en direct à la radio et à prendre le ferry pour traverser en Angleterre. C’était top.
AB: On a adoré cette tournée. On s’est jamais retrouvé dans une situation glauque, ce qui peut arriver parfois. C’est grâce aux personnes qui organisent les concerts, donc un très grand merci à elles et eux. Ça a aussi été l’occasion de revoir des amis un peu partout, des gens qui nous manquaient. À Amiens c’était une super soirée, surtout qu’on fêtait l’anniversaire de la copine qui organisait le concert. William de Kakakids Records s’est pointé aussi, pile poil au moment où on allait commencer à jouer, venu tout droit de Genève, ça faisait un peu magique !
2) Hébéphrénie, votre dernier album en date, est sorti début février justement. Comment a t-il été accueilli ? Ca doit être assez jouissif de jouer, en live, les compos du « bébé » ?
KP: Hébéphrénie a connu différentes sorties, d’abord chez UPR en CD et ensuite en vinyle en chez Kakakids. On était pas peu fiers de l’emmener avec nous en tournée. Les retours que nous avons me touchent beaucoup. Sortir un album c’est un peu comme un départ en vacances … tu es hyper excitée et en même temps nerveuse, tu vois. Et c’est une autre façon de rencontrer les personnes qui écoutent notre musique. En live nous jouons quelques morceaux d’Hébéphrénie, mais pas que, on en a aussi des nouveaux sur le point d’être enregistrés, et des anciens remaniés.
AB: Oui, c’était super agréable de jouer des nouveaux morceaux, dont certains qui sont sur Hébéphrénie. On a fait un va et vient entre les enregistrements et les concerts donc on avait envie de montrer d’autres choses. On est content des remarques des gens sur Hébéphrénie, certaines personnes l’avaient déjà écouté et sont venus exprès au concert, d’autres au contraire sont d’abord venu voir le concert et ça leur a donné envie d’écouter l’album.
3) La rondelle est d’ailleurs sortie chez Unknown Pleasures Records (avec Kakakids Records et 1000 Balles), où trône Pedro Penas Robles, et la promotion est assurée par Julien Fernandez, depuis son 5 Roses basé en Italie. Que vous apportent ces 2 aguerris incontestables ?
KP: De la nouveauté! Parce que c’est la première fois qu’on travaille avec des personnes qui sortent de notre cercle proche.
AB : Pedro et Julien on ne les a encore jamais rencontrés physiquement, on ne connaît quasiment rien d’eux ! Donc effectivement c’était une première d’échanger avec des personnes en mode virtuel comme ça. J’ai trouvé ça assez intrigant parce qu’on s’imagine un peu qui ils sont sans le savoir, avec les échanges de mails. Je pense qu’ils sont tous les deux passionnés par la musique, ça se voit ! Et oui, ils ont de l’expérience , donc tout nous a paru simple.
4) Ce disque correspond t-il pour vous à une confirmation, à une « validation » du potentiel entrevu sur Kairos (mai 2017) ? Est-ce le fameux « disque de la maturité » évoqué, d’une façon selon moi un peu hors de propos, par certains médias à l’égard de toute seconde sortie d’un groupe?
KP: Je le verrais plus comme un prolongement, un aboutissement. Faire Hébéphrénie nous a pris 3 ans, et nous a permis de travailler notre son et de dessiner notre univers. Et ce en grande partie grâce à notre sorcier sonore Pierrick Monnereau qui a enregistré Kairos et Hébéphrénie!
AB: J’espère pas trop que c’est un album mature! Sinon ça veut dire qu’il nous reste plus qu’à décrépir! Je me sens un peu gêné par des mots comme «maturité», ou aussi «aguerri» utilisé précédemment, et que j’aimerais beaucoup si ça venait de «guérir», et non pas de guerre… La maturité je n’y crois pas tellement. Pour moi, ça résonne comme un pis-aller. Parfois on accorde du crédit à des groupes parce qu’ils font leur musique depuis longtemps, comme s’il fallait prouver aux gens que ça en vaut la peine parce que ça dure. Et à côté de ça, on écoute les débutants avec plus de sévérité des fois, on se dit qu’on verra bien ce que ça donne plus tard, s’ils vont faire leurs preuves, arriver à maturation.
Il y a cet écrivain, Julien Gracq, qui disait : certains auteurs écrivent dès leur premier livre, comme ils écriront toute leur vie, et d’autres au contraire vont progresser à vue d’oeil, comme la gestation des marsupiaux se fait à l’air libre dans une poche ventrale. J’espère que ça va se passer comme ça pour nous et qu’on changera de forme à chaque album, tout en restant les mêmes.
5) Je ne peux m’empêcher, à l’écoute d’Hébéphrénie, de penser aux 2 Turques de Kim KI O (sur Angst) ainsi qu’au The Cure de Disintegration (Blok). Pourtant, vous ne connaissiez pas les premières nommées avant que je vous en parle. Avez-vous encore, malgré un son « bien à vous », des influences ?
AB: On a découvert Kim Ki O grâce à toi, c’est chouette! Quant aux Cure, on peut difficilement nier qu’on aime beaucoup ce groupe, et à différents moments de leur histoire. Je crois que la notion de ce qui t’appartient, ce qui est à toi en musique est très difficile à interroger. C’est peut-être pas à nous de le dire, plutôt à ceux qui vont écouter. Ce qui nous appartient c’est peut-être les intentions qu’on a mises dans des mots et des instruments qui ont pourtant déjà été utilisés dans le passé. C’est un mélange. Mais on n’a aucune aspiration à copier ou dépasser qui que ce soit, de toute façon, on n’y arriverait même pas.
Je crois que c’est beaucoup plus simple de faire ses morceaux avec ce qu’on a, plutôt que de vouloir atteindre un idéal auquel d’autres groupes ont déjà accédé, sinon on risque de se perdre complètement. Il y a aussi une certaine dictature de l’originalité depuis un bout de temps qui pousse paradoxalement les gens à se conformer à la toute dernière mode, être un early adopter et pas vraiment à créer du neuf par soi-même. Il faut être sacrément sûr de soi je pense pour prétendre être complètement différent des autres.
6) Grenoble, c’est comment musicalement ? Quels lieux ou structures recommanderiez-vous à quelqu’un qui y débarquerait ?
AB: Grenoble est historiquement une ville très active en termes de musique, il y a beaucoup d’idées et d’énergies communes. Il y a une scène punk, entre autres, toujours vivante. On en parle souvent. Par contre, la situation devient de plus en plus dure. Et ça date de bien avant le coronavirus. Je dirais que c’est devenu vraiment compliqué depuis 3 ans. De nombreux lieux ont dû fermer, on leur mettait des bâtons dans les roues. Je n’ai pas envie que Grenoble devienne une gentille petite ville dortoir avec une culture de façade, ça m’inquiète car c’est vraiment ce qui nous pend au nez.
7) J’adore votre t-shirt, il en reste encore? Bon, hormis cette question décalée, arrivez-vous à vendre en dépit d’un univers réservé aux avertis/habitués ? Ce n’est peut-être pas l’objectif premier mais si on veut perdurer, ça compte non ?J’aime beaucoup la pochette d’Hébéphrénie, d’où provient t-elle ?
AB: Merci, ça fait plaisir! Oui il nous reste encore quelques t-shirt sur bandcamp. Parfois on les sort aussi aux concerts. Le t-shirt comme la pochette d’Hébéphrénie sont des clins d’oeil à la mythologie grecque, associée entre autres choses au thème de la maladie et du traitement des malades, qui est un peu une obsession dans nos paroles et dans la musique depuis le début de Lovataraxx.
KP: Merci! C’est notre ami graphiste Arthur Maserati qui l’a faite! C’est lui qui a réalisé la majorité de nos visuels; du t-shirt, en passant par les pochettes d’album et des affiches. C’est hyper agréable de bosser avec lui parce qu’il connaît bien notre univers et arrive à merveille à mettre en images nos envies. C’est la première fois qu’on travaillait avec de la photo, réalisée par une amie photographe -Tania Maria Elisa. Avec Arthur il y a eu des discussions sur le sens du nom de l’album, son fil rouge, les références. Hébéphrénie est le nom donné à une forme de schizophrénie chez les jeunes. Hébé est la déesse de la jeunesse dans le panthéon grec, c’est celle notamment qui sert le nectar aux dieux et qui un jour, a renversé la jarre. La pochette est un mix de tout ça.
8) Votre territoire musical, cold et majoritairement synthétique, se prête aux remixes. Or et sauf erreur de ma part, vous n’en avez jamais fait jusqu’alors. Est-ce dans les tuyaux et quels sont, pour rebondir sur le sujet, vos projets d’après-confinement ?
AB: Il y a plusieurs personnes qui nous ont proposé de faire des remix de nos morceaux et on leur a filé des stems, mais effectivement pour l’instant rien n’est encore sorti. Nos projets d’après confinements: des concerts, un nouvel album dont on a déjà la plupart des titres, un clip sur notre morceau Angst, dont la préparation a été interrompue par la quarantaine. On aimerait aussi inclure de la vidéo pendant certains live.
KP: Si tu savais le nombre de fois où on s’est dit en écoutant des morceaux : celui là, faut qu’on en fasse une version Lovataraxx! Après le confinement, j’aimerais reprendre la route. On a pas mal de tournées et dates qui ont sauté, comme tu t’en doutes. Jouer en live commence sincèrement à me manquer. Le milieu musical prend un sacré coup dans l’aile! Et puis on aimerait travailler sur le nouvel album !
9) KLEO PATTERN / ALMOND BLOSSOM, pour finir dans l’ délire, c’est qui au juste ces 2 là ??
K.P.: C’est le plaisir de se déguiser. Je viens plus du monde du spectacle et de la scène. J’avais envie de me créer un personnage qui colle à ce que je fais dans Lovataraxx: une petite sonorité allemande, le jeu sur les claviers…
AB: Almond Blossom vient entre autres choses d’un jeu de mots sur les Allman Brothers, un groupe de rock originaire de Macon en Géorgie qu’on écoutait pas mal à la maison quand j’étais gamin, et c’est surtout une référence au poème «La Sérénade», écrit par Aloysius Bertrand, un poète maudit. Oui c’est un peu délirant peut-être, c’est le surnom d’un jeune amant romantique et fleur bleu, donc il n’est pas pris au sérieux évidemment et il reçoit un seau – on va dire rempli d’eau- quand il veut chanter une sérénade. Je trouve ça dommage que le romantisme soit trop souvent associé à de la niaiserie. Alfred de Musset disait un truc du genre: savoir pleurer n’est pas une faiblesse.