Un cinquième album d’Hanni El Khatib, au vu de l’évolution continuelle de l’artiste après des débuts d’un rock garage sauvage et racé, c’est un événement attendu. Pour le coup, l’attente est décuplée par le fait que notre homme, désireux de muer encore et encore sans se dénaturer, s’est lié d’amitié avec Leon Michels, tête pensante des maîtres de la soul El Michels Affair, jusqu’à lui faire produire ce Flight groovy. Joueur et éclectique, bricolé et aventureux, musical à souhait (Alive), il se compose de titres courts, dégraissés du superflu. Samples et organique s’interpellent, le chant d’ El Khatib amène un surplus de soul, parcourt une large palette et la vigueur fusionnée de nombre de morceaux (un excellent, par exemple, Colors) en font un disque à part, dont il pourrait bientôt être difficile de se séparer. Passé la surprise des premières écoutes, en effet, les occasions de s’enthousiasmer sont légion. Carry, sur moins de 2 minutes, trace sur un autoroute électro-soul-rock au bitume parfaitement façonné. En termes de sons « décorants » inédits, de cheminements à la Beck dans ses temps d’envol irrépressible, le duo a assuré un travail de taille. Il séduit, aussi, quand il lâche la bride et aborde des terres psych-soul (Glassy).
Dans la maîtrise du collage, car il s’agit bien de ça à ceci près qu’ici, celui-ci est savant et jamais hasardeux, Hanni et son équipe inventent des boucles aux textures prenantes (Alive), font convoler voix rock et pulsions électro (Stressy), épicent le tout de sonorités qui feront bouger les panards. Ils placent, dans Flight, des percus puissantes, imposent un exotisme à la Beastie Boys (Room), dépaysant. On est un peu désorientés, certes, mais l’effet est loin d’être dommageable.
Leader, au milieu de ce recueil novateur, sonne tribal et tripal, orientalisant. Vocalement, le ressortissant de Los Angeles impressionne. Son registre est étendu, bien tenu. Il met du relief dans une collection déjà haute en couleurs, ouverte et jamais excessive. Gem, dans un trip-hop aux effets psychédéliques, confirme la largeur du propos, sa portée au delà des genres. D’aucuns regretteront, on pourra le comprendre, l’impact des albums « de l’époque », immédiats et instamment tranchants. Mais le musicien avance, il a pour cela l’envergure requise. Bien épaulé, il se permet de nous emmener dans des sphères inattendues et on serait bien bête de ne pas l’y suivre. Harlow déverse sa soul flemmarde, sur Dum c’est un peu TV on the Radio qu’on croit entendre. Il y a dans Flight ce même souci d’assembler, de sortir d’une zone de confort dont le danger serait de générer l’inertie. Allez je le concède, on déplore de façon à peine masquée l’absence de plages rock wild, d’attaques frontales et garage. Il s’agira de s’acclimater mais à l’arrivée, on en tirera le plus vif plaisir.
Le disque, de plus, invite autant au « chill » (How) qu’à la libération d’énergie. Il explore, Detroit évoque les late 70’s en jouant un funk digne des Talking Heads, doublé d’effluves jazz. Peace, ébauche folk-soul énergique, conclut une rondelle hybride, convaincante. Exigeante, également, dans un premier temps car, même si l’évolution était prévisible, peu s’attendaient à ce qu’elle soit ici aussi poussée. Dans une veine qui rassemblerait, de façon globale, les différents délires géniaux orchestrés par les Beastie Boys cités plus haut…à la sauce El Khatib. Savoureux, détendu et exubérant à la fois, audacieux sans qu’on s’y perde au point de plier bagages, Flight génère en tous cas un voyage singulier et très souvent concluant.