A quelques jours de la sortie de « Sous la peau », qui marque le retour d’un Versari plus enflammé et inspiré que jamais, Jean-Charles Versari répond aux questions de Muzzart….
Photo © Frédéric Lemaître
1. Tout d’abord quel est votre ressenti, peu de temps avant la sortie de « Sous la peau », à l’égard du résultat final ? Quelles en sont les sources d’inspiration sur le plan textuel ?
À ce jour je suis toujours épaté et emballé par l’album. Ca a été un très long travail et j’en suis très fier. C’est pour moi le meilleur disque de ma carrière, de loin. Laureline et Cyril sont sur la même longueur d’onde à ce sujet.
Textuellement, c’est un album sur la perte. Perte des êtres qu’on aime, perte des repères, pertes des valeurs, et l’impact que ça peut avoir.
2. A l’écoute du nouvel opus, je note une fois de plus, après « Jour après jour » et « Ostinato », l’impact des mots. Qu’attendez-vous de cette verve ? Existe t-il une démarche visant à susciter, auprès du public, une réaction ou une forme de réflexion dans la profondeur ?
Les textes ont toujours été importants pour moi. Dans les grouse que j’écoutais lorsque j’étais ado, en Anglais et en Français – The Cure, Tuxedomoon, Minimal Compact, Joy Division, et Marquis de Sade/Marc Seberg, Dazibao et Jacques Brel, entre autres…
J’ai toujours eu ce rapport aux chansons. Je ne cherche pas à susciter quelque chose de particulier chez l’auditeur, mais j’avoue espérer que mes textes trouvent un écho. Plus que de susciter une réflexion, je trouve plus essentiel que les personnes qui écoutent ces chansons puissent s’approprier les textes, que ça entre en résonance avec leurs propres histoires. Quand une chanson qu’on écrit est publiée on perd un peu la main sur son sens, et c’est pour le mieux.
3. Adrian Utley est à nouveau de la partie ; qu’est-ce qui a motivé, initialement, sa contribution ? Quel est son apport ?
J’ai rencontré Adrian lorsque nous travaillions sur le dernier album de mon ancien groupe, Hurleurs, en 2001. Nous sommes restés en contact et sommes devenus amis. Lorsque, avec Versari, nous avons attaqué le travail sur Ostinato, j’ai proposé à Adrian de réaliser l’album et il a tout de suite accepté car nous avons une forte entente artistique en plus d’être amis.
Je pense que ça a été déterminant pour le son de ce disque. Nous ne pouvions pas lui re-proposer la même chose pour celui-ci car le travail d’enregistrement s’est fait sur la longueur. J’ai re-contacté Adrian et TJ Allen (qui a mixé l’album et qui a également travaillé sur le précédent) lorsque nous avions quasiment fini toutes les prises, et j’ai proposé à Adrian de rajouter des éléments selon ses idées. Mais comme j’ai pris beaucoup plus de temps pour aller au bout de mes idées sur les guitares, les synthés et les voix, il n’y avait plus vraiment beaucoup de place sur les morceaux pour ajouter des éléments. Il a au final ajouté une guitare sur « Tu te disais » et un synthé sur « La Peur au ventre », et les deux sont remarquables.
4. Il en est de même pour Cyril Bilbeaud, étroitement lié à l’épopée Versari autant qu’à l’avancée de votre label T-REC , où Serge Teyssot-Gay vous a vite rejoints. Comment vous répartissez-vous le « boulot » au sein des 2 projets? J’imagine que Cyril, au vu de son parcours, est loin d’être en reste…
Oui. Cyril est un de mes meilleurs amis, comme un frère vraiment. Le premier album de Versari est encore un album hybride, entre deux. C’est un pallier maladroit entre Hurleurs et Versari. Nous avons trouvé notre réelle identité lorsque Laureline nous a rejoint et que nous avons commencé à travailler à trois. Cyril est Laureline sont aussi importants pour l’identité du groupe que moi, c’est un vrai trio, et un vrai groupe. Nous œuvrons pour le groupe et pour le bien du projet…
Nous avons monté T-Rec avec Cyril, et ça nous semblait naturel de monter un label ensemble au regard de notre amitié, de notre travail commun et de nos idées similaires. Nous avons vraiment voulu faire un label éthique, pour les artistes. Serge nous a rapidement rejoints car il trouvait le projet solide et juste. Malheureusement nous avons perdu beaucoup d’argent et l’activité du label a quelque peu ralenti. Nous relançons un peu l’activité, mais pas du tout dans les même proportions que par le passé. Nous ne pouvons plus nous investir comme avant, ni en temps ni en argent.
5. Je remarque que T-Rec, qui se définit comme exigeant, militant et unique, a à son actif un catalogue où siègent nombre de groupes aux paroles fortes et à la musique décalée. Est-ce là ce qui fait la sève du label et par extension, en quoi est-il exigeant, militant et unique ?
Oui, c’est ce que nous voulions avec Cyril. Nous étions toujours en parfait accord sur les sorties, et je pense que nos goûts ont créé l’identité musicale du label. Nous sommes fiers de ce que nous avons sorti aujourd’hui, même si nous avons eu des différents avec certains artistes.
Il me semble évident que c’est ce qui fait la sève et l’identité du label, effectivement. C’est un label exigeant car on ne signe que ce qu’on aime, militant car on revendique notre identité et un respect de l’identité artistique des artistes qui y sont. Nous avons une approche éthique de l’interaction qui doit exister entre les artistes et nous, à commencer par une totale transparence. Nous n’avons pas de groupe financier derrière nous, nous ne sommes pas la danseuse d’un riche industriel à qui rendre des comptes.
Nous sommes réellement indépendants, ce qui est problématique aussi, mais cela fait que nous sommes libres. Je pense que c’est à ce titre que T-Rec est un label unique.
6. Pour en revenir à « Sous la peau », T-Rec collabore notamment, pour sa sortie, avec Unknown Pleasures Records qui constitue une grosse référence, dans l’éthique comme dans le contenu. Pourquoi ce choix ?
J’ai rencontré Pedro d’UPR virtuellement, via les réseaux sociaux. C’est d’abord le catalogue du label qui m’a attiré, j’ai tout de suite lu ses posts enflammés et j’y ai décelé une attitude commune dans sa démarche et la nôtre. J’ai acheté quelques CDs et je lui ai écrit et envoyé le lien pour écouter Ostinato. Il a aimé l’album et m’a proposé de faire un remix pour un titre de Norma Loy, ce que j’ai fait. Puis il m’a proposé de faire une reprise de Psychic TV pour sa compilation hommage/soutien à Genesis P-Orridge.
Je lui ai alors demandé s’il serait intéressé pour co-sortir le prochain album, et il a immédiatement répondu oui. Du coup c’est une sortie commune T-Rec/UPR/Declared Goods. Je suis très fier de cette collaboration et du travail avec UPR.
« Sous la peau », sortie le 24 avril 2020.
7. La pochette de Sous la peau est l’oeuvre de James Johnston, de Gallon Drunk . Comment s’est faite la connexion et que signifie son ouvrage ? Au delà de cette contribution, n’aurait-il pas pu, également, contribuer musicalement à « Sous la peau » ?
Je suis son travail de peintre depuis longtemps, parce que je suis son travail de musicien depuis plus longtemps encore. Nous avions eu une proposition de recto par un ami mais il ne convenait pas à tout le monde dans le groupe. Lorsqu’on en parlait après une répétition, j’ai évoqué James F. Johnston avec Laureline et Cyril et nous avons commencé à regarder son feed Instagram. Laureline a repéré cette peinture, qui avait été postée il y a un moment, et ça nous a paru évident tout de suite. On craignait que ce soit impossible, mais on lui a écrit et il a répondu qu’il était d’accord cinq minutes plus tard. Cette peinture s’intitule « Master performer portraying death », un dramaturge personnifiant la mort. Ca nous a semblé opportun, plus pour l’image – il y a un rappel du crâne d’Ostinato – et les couleurs que pour le sens réellement.
Oui bien entendu, il aurait pu contribuer musicalement à cet album. Gallon Drunk est un de nos meilleurs souvenirs de concerts avec Cyril. Je me retrouve dans son jeu et son son de guitare. J’ai par ailleurs beaucoup écouté Big Sexy Noise avant de faire mes prises de guitare.
8. Vos sorties sont espacées ; 6 à 7 ans séparent chaque disques. Est-ce là une manière de « se faire désirer » (rires) ?
Non, c’est un peu la force des choses. Nous devons tous travailler à côté de la musique, et je ne crois pas au fait de sortir des disques tous les ans. Beaucoup d’artistes font ça aujourd’hui car c’est le seul moyen de s’en sortir. Or, je trouve souvent que ces albums sont bien produits mais manquent de vrais morceaux…
Nous sommes en effet particulièrement lents, mais c’est aussi ce qui est nécessaire pour que nous assumions à 200% ce qu’on sort. On en parlait il y a quelques jours avec Laureline et Cyril et nous avons convenu qu’on n’attendrait pas 7 ans avant de sortir le prochain. Mais ce ne sera pas l’année prochaine non plus.
9. Beaucoup d’articles de presse sont cités, sur le Bandcamp de Versari, s’agissant des 3 albums sortis. Quelle place accordez-vous aux retours critiques émanant des médias ?
Les retours médias sont importants, surtout parce que c’est en partie par eux que les gens qui peuvent être sensibles à notre univers vont découvrir les titres – même si c’est aujourd’hui moins vrai et que les gens découvrent la musique par les réseaux sociaux, les playlists et YouTube…
On cite ces médias sur BandCamp parce qu’il est beaucoup plus facile de laisser les autres parler de soi. Je suis nul quand il faut que j’écrive une bio pour nous, et je ne le fais pas.
10. « Sous la peau » m’a « fait du bien », dans le sens où son contenu m’a permis de mieux appréhender la situation actuelle, évidemment éprouvante. Pensez-vous que Versari ait cette aptitude, par ses mots et notes, à soulager les maux ?
C’est fantastique ! Oui, comme je le disais avant, il m’apparaît essentiel que tout le monde puisse s’approprier les textes et y trouve un sens, un soulagement, une réponse à ses propres maux et questions. C’est probablement ce qui peut arriver de mieux à une chanson. Et si nos titres génèrent ça, alors nous avons réussi à créer quelque chose de beau et juste.