A 15 jours, entre autres nombreuses gâteries prévues, de la sortie d’un live retentissant, la paire belge répond aux questions de Muzzart….
1) Salut le duo ! Pour commencer, que nous préparez-vous en cette période de confinement ? Je suis sûr qu’il vous est impossible de simplement laisser fuir le temps…
Rémy : Salut Muzzart et merci pour l’invitation ! On travaille effectivement sur plusieurs sorties. On n’a pas prévu de sortir un nouvel album cette année, mais plutôt toute une série de choses parallèles. 2020 est dédiée à ça ; indépendamment du contexte, on avance. Deux premières sorties sont déjà disponibles : la repress de notre premier album (2015) en vinyle et en CD sur Black Basset Records et la sortie de notre double album live Coucou Beuh !!! sur le label Exag Records, fin avril. On ne peut pas vous en dire beaucoup plus sur les trois autres sorties prévues cette année. Ca viendra en son temps, on bosse dessus et on a vraiment hâte de sortir tout ça. Plein de nouvelles choses et surtout pas juste La Jungle.
Mathieu : Ca va être top, de beaux projets. Ça confine et ça fait du graphisme et des dessins 😉
2) J’ai pu écouter à plusieurs reprises Coucou ? Beuh! , votre live destiné à sortir le 24 avril. De la dynamite ! Comment s’est fait le choix des 2 dates retenues pour ce disque, sachant que vous vous lancez souvent dans des tournées marathon ?
Rémy : Comme souvent, tout ça vient d’un rapport humain, d’une rencontre, de discussions et d’idées et pas forcément juste de nous. Le gars derrière tout ça, c’est notre ami Hugo. Un ingé-son bien méticuleux et bien perfectionniste rencontré aux Studios Davout à Paris, il y a trois ans. Il nous a accompagnés sur quelques dates de temps à autre, suivait notre actualité, faisait notre son quand il était dans le coin et prenait des prises live sans trop nous en parler. Puis un jour, on s’est retrouvé à Lyon au Périscope. Et notre Hugo a fait sonner ce live de février 2019 (on était donc sur la tournée de l’album précédent) comme si on y était. On était tous vraiment impressionnés par le rendu. Et lui a voulu en faire autre chose qu’une simple diffusion podcast, radio ou une seule sortie digitale.
L’idée du vinyle est venue assez spontanément. On partait sur un double live, et donc sur un autre concert. On a donc invité Hugo à Dour, où le rendu d’enregistrement s’est avéré beaucoup plus punk, très grésillant et l’ambiance vraiment folle. C’est très perceptible sur le disque. Deux salles, deux ambiances, deux atmosphères, deux set complètement différents. On est forts contents et très fier de sortir cet objet. Mathieu pourra peut-être vous parler de la pochette et des milles histoires qu’elle raconte.
Mathieu : Disons que deux lives ça permettait surtout d’avoir un spectre plus large au niveau des tracks. Pas seulement une tournée. Avec ces deux dates on a des chansons de chaque album dessus en fait. Un bon résumé de la route ces dernières années. J’ai réalisé la pochette uniquement avec des photos noir et blanc de notre appareil, prises par des potes qui nous ont accompagnés ces derniers temps. C’est surtout les gens présents, souriants, dansant à nos concerts. Je voulais que ça rende hommage au public d’une certaine manière. Puis ça a été une sélection, du détourage, assemblage etc, parmi des milliers de photos 😉
3) Je trouve que l’enregistrement retranscrit assez fidèlement votre intensité live, ce qui n’est tout de même pas une mince affaire à la base. Qu’en pensez-vous ?
Rémy : On pourrait avoir une très longue discussion à ce sujet. Les albums de ce groupe amènent une foule de débats sur les méthodes d’enregistrement, comment retranscrire la transpiration, la violence du truc, la transe et la répétition, l’énergie et la communication entre Mathieu et moi sur scène. Seul notre tout premier album est enregistré live. C’est peut-être le plus fidèle à ce qu’on fait pour certains, pas du tout pour d’autres et on le comprend vraiment.
En fait, on sort d’une très belle expérience où on a pu expérimenter à nouveau des enregistrements live avec de la nouvelle matière. On ne peut pas en dire plus pour l’instant. C’est une sortie sur laquelle on a beaucoup bossé durant ces premières semaines de confinement. On en reparle l’année prochaine.
Mathieu : Le live ça se vit et on espère que ceux qui écouteront se disque pourront comprendre le truc. Ou les faire replonger dedans si ils ont déjà vu le groupe en concert. On adore voir les gens s’éclater, sourire simplement, danser. Ça nous ramène à la pochette.
La Jungle au Arte Concert Festival
4) Vous avez également réédité , récemment, votre premier album. Cette ressortie émane t-elle d’une demande du public, eu égard au succès que vous rencontrez ?
Rémy : On tourne beaucoup donc les albums s’écoulent. Le vinyle est un objet très prisé et auquel on accorde une importance toute particulière. On nous pose souvent cette question au merch : « Tiens, l’album avec les palmiers, pas de vinyle ? ». On lit la déception dans leurs yeux des personnes qui viennent à nos concerts et aussi une once de dépit. Et c’est ce genre de moment qui nous touche beaucoup. On veut faire de la musique pour nous mais aussi pour tout le monde à qui ça parle. Rendre les gens un peu heureux quand c’est possible et nos concerts y contribuent peut-être. C’est peut-être pas pour rien qu’on nous envoie des vidéos de gamins qui dansent sur La Jungle sur notre boite Messenger. Si la musique leur parle et qu’il veulent des disques, on en represse. Ca leur fait plaisir et nous on peut mettre de l’essence pour aller jouer loin. Win-win !
Mathieu : Oui j’ai toujours détesté quand j’allais voir un concert et qu’il n’y avait plus de merch, ou lorsqu’un album était soldout. Je m’en fous de Discogs et tous ces trucs où les enchères montent pour un album car plus édité. C’est la deuxième fois qu’on le réédite. A chaque fois on change la couleur du disque, l’artwork des labels et de la back cover, on essaie de mettre des surprises dedans. Histoire que ça soit pas juste une simple redite. Et puis si ils partent toujours c’est que les gens sont preneurs. Tourner beaucoup, ça aide aussi à écouler les disques. Si on ne faisait que 20 concerts par ans forcément on n’en serait peut-être pas au troisième repress.
5) Votre bouillon sonore est assez inédit, même pour moi qui n’arrête pas de défricher que ce soit en salle ou sur support disque. J’y entends juste, parfois, les excellents Marvin « from Montpellier ». Comment en êtes-vous arrivés à un tel rendu ?
Rémy : À la base je voulais surtout qu’on sonne noise, Pneu, Lightning Bolt etc. Marvin, c’est un nom qui me parle énormément. Je suis un grand fan et je suis bien triste de ne plus jamais pouvoir les voir en live. Trouver ton son, ça nécessite de jouer et pas juste chez toi dans ton coin, de répéter, d’enregistrer, de tourner, d’expérimenter mille trucs dans mille situations. Les idées finissent par tomber. Je pense que ni Mathieu ni moi ne sommes strictement indépendants dans ce processus. On s’échange des trucs en répète, on s’envoie des boucles et des patterns de batterie et des combinaisons finissent par se faire. Je ne peux pas mettre beaucoup plus de mots sur tout ça.
C’est beaucoup de ressenti. Il y a un truc que Mathieu a dit dernièrement en studio et auquel j’avais jamais fait gaffe : « Sur le troisième album, il y a un seul accord. Tout le reste, ce sont des sons, des vibrations, des boucles bricolées, des bruits. » Je crois que ça peut vous donner des éléments de réponse.
Mathieu : Oui , le reste c’est des riffs sur une corde ou un grognement de synthé. A la base, de mon côté, je voulais que ca sonne plus expérimentale trance, électro mais organique. Je trouve que l’on a réussi à accoupler nos envies respectives pour accoucher d’un petit singe hybride tout poilu.
6) Vous ayant vus au Celebration Days Festival en août dernier, vous m’y mîtes sur mon séant. Le live, c’est quoi pour vous ? Exutoire, échappatoire, transcendance ?
Rémy : Les trois. J’ai pas un tempérament toujours très facile et ce groupe m’aide clairement beaucoup à canaliser tout ça. Bon après c’est parfois aussi des sources de stress sur les timing, les routings, les disponibilités, les deadlines etc. Mais c’est aussi une très bonne thérapie. Le live pour moi, c’est un truc qui te permet d’oublier qu’on est gouvernés par des imbéciles, que les cons gagneront toujours et qu’on ira plus bien loin.
Le Celebration Days était d’ailleurs un très bel exemple d’apocalypse, je crois que moi aussi je me suis retrouvé sur mon séant. Un de mes plus beaux souvenirs avec La Jungle. Jamais vu autant de gens voler les uns au dessus des autres. La fin du monde. C’était sublime.
Mathieu : Celebration Days mon amour. C’était divin, les gens , le lieu, l’accueil, le public, tout! Les concerts permettent effectivement de relâcher la pression. C’est parfois la course, mais l’après concert est toujours bien agréable. Le bon sentiment. Ca nous permet de faire du sport sans vraiment être obligé de porter un mini short fluo moulant.
7) Vous êtes indé, indé jusqu’au bout des notes, des visuels, des attitudes. Vous la définissez comment, cette posture indé ?
Rémy : C’est faire un maximum toi-même, en dépendant un minimum d’autrui et bien envoyer chier quand quelqu’un veut te pousser à faire un truc que t’as pas envie de faire. L’indé c’est juste ça. Tu dépends du monde entier et en même temps tu te sorts les doigts pour faire en sorte que ton groupe tourne et sorte des disques qui reflètent ton être et comment tu appréhende le monde dans lequel tu vis, point barre. Pas de concessions là dessus. Tu réfléchis avec qui tu bosses, tu ne cède pas aux propositions trop facile ou douteuses, tu évite les cons et privilégie toujours les rapports humains et les opportunités à échelle humaine.
Mathieu : On prend notre temps pour les décisions qui impliquent d’autres personnes. Je ne parle pas des concerts mais tout ce qui tourne autour. Parce que si on s’implique dans un truc, il faut que ça aie du sens. Qu’il y aie des connections. Pour le moment ça a toujours fonctionné.
8) La Jungle, comme l’indique son nom, c’est un bordel ordonné, en fait ?
Rémy : Je vais simplement vous répondre que je suis dépendant des boucles de Mathieu sur presque tout notre set live et nos albums. Donc oui, foutre le bordel c’est toujours possible, mais je suis dépendant d’un truc strictement métronomique et donc, ordonné, toujours. Bien vu !
Mathieu : Si on connaît bien sa structure ça permet de s’échapper par les petits sentiers tout en la gardant en tête la destination finale. Il y a des chansons qui sont passées de 6 minutes sur l’album à 10 en live. Ça permet de s’évader un peu, de rompre avec le connu 😉
9) Vous êtes Belges, donc d’un pays riche en groupes estimables. Quelle est votre vision du vivier sonore de ce pays ?
Rémy : It It Anita, Cocaine Piss, Annabel Lee, Peuk, Èlg, Ignatz and the Stervende Honden, Pizza Noise Mafia, TG Gondard, Why The Eye, Techno Thriller, Stakattak, Wild Classical Music Ensemble, Choolers Division, Petula Clarck, All Caps, Spaghetta Orghasmmond, Youff, Crowd of Chairs, Luik Music, Feles Records, Black Basset Records, Exag Records, Rockerill Records, Mountain Bike, Humpty Dumpty Records, Ben Bertrand, Zwangere Guy, Stikstof, Teen Creeps, The Guru Guru, Dirk…
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Mathieu : Le vivier est bien, mais il y a des villes mortes aussi pour les groupes, genre notre ville de Mons qui n’est plus aussi bien qu’avant. Ils n’ont pas vraiment aidé pour les structures et lieux de concerts et on voit maintenant le résultat. Il y a vachement moins de groupes qu’avant dans la région. C’est devenu un peu une ville fantôme pour les concerts alternatifs. Sinon pour le reste, ça bouge pas mal. J’aimerais qu’il y ait encore plus d’échanges entre la Wallonie et la Flandres. Ça j’aime bien.
10) Qu’écoutez-vous actuellement ? Existe t-il des groupes, ou albums, dont vous estimez qu’ils vous influencent ou ont « changé votre vie » ?
Rémy : Pour l’adolescence, c’est Nirvana essentiellement. Pour la suite, c’est Hella (si un album a radicalement changé mon approche de la batterie, c’est Hold Your Horse Is, chef-d’oeuvre, et toute la discographie de Zach Hill), Lightning Bolt, Pneu, les Osees, Battles. Mais aussi des trucs beaucoup plus calmes et plus pop comme Big Thief, Devendra Banhart, Keaton Henson, Eels, OCS. Ces derniers temps je me suis pas mal amusé avec des samples de Death Grips sur lequel il y moyen de bien se défouler à la batterie.
Mathieu : Plutôt du côté de la world alternative. Electro minimale. Tous les trucs un peu tribaux. Mais pas psychédélique 😉