Sorti à l’origine en décembre 1997 et produit par Steve Albini, chez Prohibited Records (belle écurie où l’on trouve, tout de même, Prohibition, Purr, Don Nino, NLF3 ou Herman Dune, pour faire court), le fameux The full mind is alone the clear d’Heliogabale est réédité par Atypeek Records. L’idée est bonne, il s’agit là à mon sens d’une pierre angulaire de nos 90’s chéries qui, foisonnantes et qualitatives, ont souvent fait qu’on ne savait plus où donner de la tête (et de l’oreille) tant les sorties signifiantes pleuvaient. L’opus est de plus fourni (17 titres au total), on y retrouve des climats à la Sonic Youth, bruitistes et obscurs (There and back), il « ose » d’ailleurs débuter sur un format de plus de 8 minutes assez royal; The glittering fish, ouverture noise-rock des plus accomplies, aux ruades percutantes. Alors on s’y plie et l’arsenal du quatuor se déplie. Le son est de plus ajusté, Albini étant habitué aux combos français et, on le sait, habile derrière les manettes. On remarquera, aussi, le chant sauvage et féminin de Sasha Andrès. On ne peut le nier, il apporte une jolie touche et autour d’elle les 3 hommes raffûtent sévère. Heliogabale montre aussi de belles dispositions quand il s’agit d’insérer des plages lancinantes (Iconography of wings), adoucies, de nature à nous mettre en capture. Dans ces atmosphères déliées, tout au moins en apparence, les sons entrent soudainement en crue. Riffs durs, rythme à la fois souple et affirmé cohabitent. Ca donne des pièces majeures, qui peuvent s’étaler dans la durée sans générer le moindre ennui. Definition of a woman, en son début, se fait jazzy. Sasha y chante comme Mona Soyoc dans ses instants les plus posés, puis comme une douce tigresse. Autour on sent une menace, une implosion imminente. C’est aussi la marque du groupe, ces coups de griffe racés, ces cadences ondulantes. L’orage arrive, il douche l’auditoire.
Tasting, court, emprunte une voie plus directe. Breaking the bells expérimente, on croirait y entendre une électro souterraine balafrée par des sons noisy. On pense une fois de plus, en l’occurrence, au early Sonic Youth. Tongues offre un bel interlude, bref mais estimable, narratif dans le chant et attrayant de par sa texture. A sa suite, Note 82 : no more getting f….d fait colisionner organe vocal wild et instrumentation leste, puissante. La moitié des réjouissances est atteinte avec brio.
Untitled fait alors le pont, silencieux, entre ce premier volet et le reste. Wednesday morning in a parking installe son groove sulfureux, ouvragé dans un collectif imprenable. On est là dans des essais de durée restreinte, Lahague en est et délivre un canevas bridé de toute beauté. Passé sa moitié, les guitares bavent et crachent leur lave. On sera vite épris d’Heliogabale, de ses ambiances, de ses excès, de ce chant aux facettes bien étalées. Tandis que les plages étirées, telle From fields to seas, nous prendront dans leur filet. On y est secoué, entre tension de fond et pulsions qui groovent, sous tempête sonique impétueuse. Damaged myelin, lourd et massif, dévie ensuite vers des touches plus claires…elles-même suivies de déflagrations faite maison. L’inspiration est à son comble et Heliogabale nous comble. Fossil sert une trame aux airs de drone, Unfinished hexagram se recentre sur un positionnement entre douceur viciée et instance de débordements…qui ici ne surviennent pas. On s’en tient à une magnifique « ouate » empreinte de canaillerie.
C’est à ce moment la fin, ou presque. Louise-Louise, aussi alerte qu’il retombe de façon abrupte, assène l’antépénultième assaut de corde(s) et de velours. Le doute n’est plus permis, on n’a d’ailleurs pas attendu le terme du disque pour le clamer; The full mind is alone the clear est une pépite qui, sur plus d’une heure, nous renverse. Bodies in a pile, qui s’appuie de prime abord sur un environnement calme, se fendant d’embardées lors desquelles chant « wild » et grondeur et instruments colériques dézinguent tout. Pièce maîtresse, définitivement. On rappellera par ailleurs que le groupe, qui use désormais de notre langue-mère, a sorti en 2017 un Ecce homo lui aussi de tout premier ordre, produit qui plus est par Jean-Charles Versari.