Projet noise-rap (on l’en reconnait d’ailleurs comme le parrain) de la rappeuse-poète-productrice K-Death et du guitariste Sean Lindhal, basé à Los Angeles, Moodie Black a pour ainsi dire pensé, et instauré, le rap-gaze. Ingénieux, il s’est évertué à dynamiter une base hip-hop sombre en la truffant de sons qui doivent autant au shoegaze qu’à la noise, de guitares malsaines et décisives, pour au final innover avec brillance. Auteur d’une brouette de sorties toutes plus personnelles les unes que les autres, il trouve une forme d’apogée avec ce Fuzz bien nommé, bruitiste et obscur. La démarche y est poussée dans ses derniers retranchements, vocaux et chapes noisy se donnent le change en se livrant un combat sans merci dont le vainqueur sera…Moodie Back. Car Fuzz, exceptionnel, est une pièce maîtresse.
Selfieness, auquel il revient de déflagrer en premier, donne le ton: diction noire, sons shoegaze voire indus, guitares à la fois inventives et sans pitié concourent à façonner un groove diabolique. Celui-ci démarque sensiblement Moodie Black, qui va mettre tout le monde d’accord avec ses douze morceaux auxquels je ne connais pas d’égal pour l’heure. Sur Feels, K-Death scande son discours, la cadence s’appesantit, les riffs sont aussi lourds que cosmiques. Picket fence, taillé dans une matière sonore aussi déviante, impose à son tour une trame lourde, bruitiste, écrin agité au verbe tout-terrain de Martinez. Ces deux-là s’entendent à merveille, des rythmes syncopés et ouvertures triturées accompagnent leurs giclées brutes (Jesus bound), que les plans de Lindhal arrosent à l’acide. No mames, qu’on pourrait qualifier de punk-rap (aux reflets shoegaze bien crissants), s’impose également comme un must de la catégorie.
Il ne s’agit pas, ici, de rigoler. Le mot est noir, tranchant. L’étoffe, si elle se montre astucieuse, captivante dans ses atours « vilains », hostile. I’m the one to love déblatère, l’étayage y est électro. Il s’en dégage une espèce de psychédélisme déchiré. K-Death, qui n’hésite pas à changer d’intonation, accentue l’impression d’oppression, de « ténèbres accueillants », qui ressort de Fuzz. Le groove de HI-V, quant à lui, est une pure tuerie avec ses basses et sons de génie. L’union des 2 acolytes sonne comme une évidence, génère une brochette d’hymnes à l’insoumission sonique. Que ce soit dans des formats enlevés ou sur des pistes pesantes (My penis my babyfat), Moodie Black consacre un style renversant. Des motifs rythmiques marquants l’y aident, Ceiling fans en remet une pelletée dans la rubrique « sonic rap » sur un ton grave.
Fuzz est énorme. En qualité, en capacité à inventer, à évoluer dans sa mouvance sans y égarer le moindre gramme de vérité. Look me in my face, spatial et mélodieux (sans pour autant se départir de son enveloppe dérangée), ou Amibad et ses saccades bordées de sons en pluie nourrie, tutoient un niveau que beaucoup, s’ils ne se nomment pas Moodie Black, peineront à atteindre. Parce qu’il y a dans ce disque, comme dans tout ce qu’à pu faire la paire, une véridicité qui lui donne une légitimité totale. Album pluriel, Fuzz se termine sur une tonalité presque bluesy-psyché, avec Instant meme, minor purge. Je n’ai plus qu’à remettre la rondelle dans le lecteur, à gesticuler en tentant avec un soupçon de ridicule de reproduire la logorrhée inspirée de K-Death au son du Selfiness introductif; Fuzz et sa fusion hors-champ constituant un « poison » sonore capable de générer une ivresse sans retour.