C’est peu de dire que nous l’attendions, nous les défenseurs du rock âpre et réel, lettré et écorché, qui puise à la source du verbe et du son en relief, ce nouveau Versari. Abreuvés à la rivière Jour après jour (janvier 2007) puis à la cascade Ostinato (avril 2013), nous commencions à manquer de matière. La fièvre textuelle et sonore de Jean-Charles Versari et Cyril Bilbeaud, duo d’origine désormais flanqué de Laureline Prod’Homme à la basse, faisait défaut. L’arrivée de Sous la peau, 6 ans après ce Ostinato ardent, est par conséquent un bonheur. Total. Une déflagration racée aussi, salvatrice, l’équipe Versari ayant en l’occurrence sorti le grand jeu en termes de collaboration. Jugez donc; la peinture de la pochette est l’oeuvre de James Johnston, chanteur de Gallon Drunk. Adrian Utley, de Portishead, intervenant en outre sur l’opus (guitares sur Tu te disais, claviers sur La peur au ventre). En plus d’un trio déjà, c’est tout sauf une surprise, à son affaire dans l’élaboration d’un rock acéré, qui à vrai dire est avant tout le sien, porteur d’une identité reconnaissable dont peu peuvent se targuer.
On attaque, ici, avec un Les images puissant et jubilatoire. Le leader y va de son chant intense, habité, de son mot jamais vain. Il en a à dire, pour cela il est épaulé de manière impactante par ses acolytes, dont Laureline qui se greffe au chant avec ses backing-vocals encanaillés. L’entrée en matière est frontale, enflammée, la symbiose entre son et textes audible, jouissivement audible. Riffs crus, sans manières. Paroles imagées, imaginatives. Climat rude, rock aux contours post-punk, gimmicks de synthés bien trouvés. Des atouts, Versari n’en manque pas. Voilà sûrement pourquoi, de cela privés comme je le suis aujourd’hui d’un Virago, nous appelions de nos veux le retour des rennais, angevins et parisiens aussi. Il démarre fort, ce come-back; Brûle se nuance, moins direct et tout aussi profitable. Il sent le soufre, groove sous le joug de la basse, pourrait…brûler mais se contente de rougeoyer, pétri de style et d’incandescence retenue. Sous la peau, on le sait, ne sera pas une cuvée figée et immuable. Tu te disais, saccadé, renvoie cette même tension, cette fois plus prégnante encore. Guitares à fleur de peau, rythmique précise et aussi souple qu’assénée à d’autres endroits, organe vocal pour le moins expressif, plume à l’encre jamais tarie contribuent à optimiser un disque qui d’emblée, au bout de trois « simples » titres, renvoie déjà toute sa sève.
Avec Rose, on est à nouveau dans le tendu, prêt à rompre, superbe de réserve, éloquent au possible. Un registre nourri à la flamme rock et n’hésitant jamais à aller puiser, avec justesse, dans le terrain noise, chanson ou encore post-punk. On parvient, de plus, à trouver de façon systématique le riff, le gimmick, l’ambiance qui, au bout du compte, asseyent plus que jamais Versari sur les cimes de l’édifice rock qu’il s’évertue, vertueusement, à ériger. La noise tapageuse sur l’amorce de Reviens, suivie de plages griffues/classieuses dont le groupe détient le secret, charpente sans plier l’effort du combo. JD Mayer, également sollicité, étayant Sous la peau, à l’instar du sieur Utley, sur le dit titre mais aussi sur Brûle et Tu te disais en y plaçant ses machines éparses, aux sons qui renforcent l’attractivité sonique du rendu. C’est du solide, qui séduit tout autant quand il desserre -légèrement- l’étreinte (La peur au ventre). Renouant ensuite, via Némésis, avec des riffs bruitistes, un rock rugueux dans sa distinction, qui perdure d’un bout à l’autre d’un Sous la peau qui nous coulera bientôt dans le sang, forts de ses coups…de sang et d’une langue française qu’il fait ici rutiler.
Photo©Frédéric Lemaître
Cohérent dans l’agencement de ses compositions, Sous la peau manque peut-être, ce qui n’engage que le fondu de rock up-tempo que je suis, d’un ou deux Des images supplémentaires. Gourmand, je fais la fine bouche, j’ergote mais en parallèle, la félicité atteint son paroxysme. Plus de tristesse, comme pour faire barrage au désenchantement actuel, lance alors une dernière charge plutôt déliée. Elégant, sous-tendu, il laisse poindre l’orage mais le contient, renvoie un brio mélodique à porter à l’actif d’un Versari qui de toute façon ne connaît pas la crise et réussit dans son entreprise, périlleuse, de revenir aujourd’hui plus fringant que jamais. Dans la continuité, certes, d’une discographie émaillée d’efforts remarquables. Mais en réussissant le pari d’éliminer, le temps de huit titres saillants et éblouissants, six longues années d’expectative. Magnifique.