Basé à Athènes en Grèce, Mechanimal verse dans l’électronique, fricote avec l’indus, se frotte au spoken-word et de tout ça, enfante un Crux envoûtant, au chant de crooner obscur à la Bowie–Eldritch qui, bien entendu, vient couronner un disque de haute volée. A partir de la vision sociétale dépeinte par Freddie Faulkenberry: Voice, et Giannis Papaioannοu: Electronics, beats & tapes, on profite pleinement de l’extase ombragée inhérente à l’album. Ghetto level, vaguement trip-hop, synthétique, déjà merveilleusement obscurci par l’organe de Faulkenberry, installe un climat. On s’y laisse prendre, son timbre grave et lascif crée sans conteste un bel effet. Il y a du cachet dans ce que fait le groupe; Angelica Vrettou gère l’aspect video, Antonis Charalambidis tient la batterie sur scène et pour l’occasion, nombre d’invités notoires s’associent à Crux. Le tout sort de plus chez Inner Ear Records, ce qui est loin de gâter le rendu. Que Sharon, tout aussi lancinant, sombre et racé, rehausse d’un cran supplémentaire. En s’appuyant sur cette teinte grise, une prestance vocale remarquable et un étayage exempt d’excès, Mechanimal accroche sensoriellement. On entend aussi, dans le chant, une discrète touche gothique à la Sisters of Mercy.
Stolen flesh, mis en images par ses pères, souffle une électro légère. Dans une cohérence imprenable, une unité dans les atmosphères conçues, la clique grecque est perchée…sur les sommets. On n’est pas dans la vitesse, dans le débridé qui fuse et dérape; ici, on prend le temps. D’installer ses sons, de poser ses mots et maux. Ca sonne remarquablement, Easy dead et ses guitares drues se range côté rock mais vire trip-hop, tout en rejetant des atours à la Massive Attack. Hypnotisé, captif d’un univers saisissant, l’auditeur s’y vautre avec plaisir. La feutrine ténébreuse de Mechanimal lui offre l’espace d’inconfort, confortable, sécure et dérangé, qui lui sied et l’extrait du réel.
Avec Scavengers, le rythme s’emballe. Plus post-punk, empreint de cold-wave, c’est une transition agitée, dont les sons acides accroissent les penchants tourmentés. Le mot parlé constitue l’étoffe idéale pour Freddy Faulkenberry, en phase avec les sons peu communs, peu usuels et toujours judicieux de son compère Papaioannοu. Plus loin, Razor tube suit lui aussi une voie plus alerte, cold, à la pulsion électro jamais de trop. Le mot à mot du vocaliste, fatal, est de taille. La Grèce et ce label, Inner Ear Records, regorgent de formations valeureuses; Mechanimal en est une, qui n’en fait qu’à ses sons et a pour obsession première d’imposer sa patte. Red mirror, qui ne fera pas baisser la cadence, se place entre galop kraut, voix encore et encore étincelante dans son ombre, motifs réitérés et, en bout de course, ambiance singulière, faite « maison ». Des guitares claires mais acérées perlent le bazar et c’est marre, comme le dit l’expression. Attirant jusqu’en son digipack, Crux nous fera danser toutes lumières éteintes.
Hopital of the storm délaisse le rythme vivace, au profit de saccades assénées qu’un fond aérien accompagne. La lumière ne filtre pas, c’est visiblement un terrain hostile que décrit et investit le combo d’Athènes. Mais on ne le fuira pas; Mechanimal en fait son sujet d’étude et par ce biais, nous laisse avec son nectar sonique vicié-racé, dont on s’abreuve avidement. Il nous en sert 2 dernières louches généreuses; d’abord électro, alerte, avec Vanquish. Des sonorités presque new-wave, décisives, rendent le morceau plus entraînant encore. Quant au chant, nul besoin d’en vanter à nouveau l’impact. D’un point de vue stylistique, Crux ne se définit qu’avec peine. Tant mieux car souvent, les meilleures sorties ne se rangent pas. C’est donc en l’occurrence le cas.
Il revient à La Poverina Della Ossa, dernier jet du projet, de conclure. Ca se fait en zigzaguant dans les cieux, sans rythme décelable, dans la sobriété quasi totale. Comme pour retomber, sans se départir d’abords « pluvieux », d’un disque dont les palotes couleurs le font briller d’un éclat musical constant.