Né de la rencontre entre le groupe de rap Suisse Rip!Lick et le rappeur sud africain Ben Sharpa, malheureusement depuis disparu, suite au désistement du MC avec lequel les Helvètes oeuvraient, Ben Sharpa & Rip! Lick est un pied de nez à la désunion. Evoquant la rencontre, dans un cadre plus rock cette fois, entre Slow Goe et les lyonnais de The Ginger Accident, leur collision culturelle et musicale enfante un hip-hop mâtiné de jazz, unique et superbement joué en plus de faire émerger, textuellement, des sujets dignes d’intérêt (techno-écologie, industrie alimentaire, différences socio-culturelles…). Intense, l’album qui en découle, intitulé Hanging in the balance, souffle un groove ombrageux, une diction appuyée. Sa couleur jazzy n’est jamais fermée, elle nappe en outre magnifiquement les morceaux offerts. Dès Intro, qui a le mérite de renvoyer un réel ressenti contrairement aux ouvertures dispensables audibles chez d’autres, on décèle une âme, une colère, une hybridation dont les traits me font penser, régulièrement, aux géniaux Soul Coughing. City lights où intervient le saxo feutré de Romain Tinguely, uni avec la rythmique de ses acolytes (Francesco Miccolis à la batterie et Alexis Hanhart à la basse, impliqués d’ailleurs dans de nombreux autres projets) et la voix d’un Ben Sharpa au relief profitable, confirme. Il existe, dans ce disque, une identité démarquée, une volonté de différer, de (se) fédérer, qui musicalement touche à l’excellence. On est de plus bien loin du démonstratif jazz qui fait décrocher après 2 morceaux; ici, on joue bien mais le rendu se veut abordable. On joue ensemble, au service de…l’ensemble.
Le ressortissant de Johannesburg a le verbe, l’intonation. Notons que tous les revenus liés à l’album reviendront à sa famille. Pour l’heure, son union avec Rip! Lick lui donne vie et nous réjouit. La fusion du clan est batailleuse, zébrée de sons déviants (l’éponyme Hanging in the balance). Food inc., dépaysant tel un Asian Dub Foundation, scintille lui aussi ombrageusement dans la contestation qu’il véhicule. On n’est pas dans le rap posé et insignifiant; en l’occurrence, on a des choses à dire et ça remue sous le flux d’impulsions jazz ingénieuses.
Bring back our girls, leste et rock dans ses abords, est un ovni sonore. Vaporeux autant qu’affirmé, il précède un E.M.P.I.R.E où registre rap sans complaisance et sonorités jazzy proches du génie créatif font bon ménage. A qui recherche singularité et personnalité, Hanging in the balance plaira « dangereusement ». On y entend révolte et insoumission, le support sonore de ces 2 notions est merveilleusement abouti. Il se nourrit de bruits qui eux aussi refusent de se plier, sonnent comme une opposition à la contrainte et au conformisme. Entre clarté et parties obscures, Broken glass…brise la vitre. Celle de l’injustice. Dans les climats, Hanging in the balance est de toute première qualité. Go green entérine définitivement le brassage ajusté du groupe, à l’oeuvre d’autant plus précieuse connaissant le sort du sieur Sharpa.
Sur un format plus étendu, Sociology of me marie jazz délié et, comme de coutume, diction pleine d’aplomb. Du délié de base, on passe ensuite à des plages plus sulfureuses. Fréquentes, celles-ci amènent un plus, un surplus d’écart sonique bienvenu. On trouvera peu d’égaux à Hanging in the balance, qui avec HELP fait dans le saccadé souligné par un sax free. Il n’y a absolument rien à jeter dans ce qu’entreprend le groupe et Quantum jazz, sur lequel cadence hachée -ensuite plus vivace- et étayage grinçant assurent une issue remarquable. Ben Sharpa & Rip! Lick, dans une parfaite complémentarité, paraphant un opus de haute volée, témoin de la cohérence d’une association musicale et culturelle forte.