Culte et déjanté, mené par un Emmanuel(le) Hubaut attachant et créatif, charismatique aussi (j’ai encore en mémoire le concert de 2003, à la Lune des Pirates d’Amiens, où l’intéressé nous a tous pris par la main pour nous rapprocher de la scène), Les Tétines Noires réédite ses albums et nous fait le bonheur, total, d’une intégrale dont la version 4 CD sortira début 2020. Avec, à la clé, des lives qui ont déjà repris (superbe ouverture pour les Young Gods, le 24 novembre dernier, à La Machine du Moulin Rouge).
Prenant les devants, Icy Cold Records et Manic Depression proposent d’ores et déjà une sélection piochée dans le dit recueil, en format Vinyl 12″ . Non seulement l’objet est beau mais il inclut, qui en doutera?, son lot de morceaux mémorables, tirés de Fauvisme et Pense Bête (1990), Brouettes (1991), Unreleased recording(1993) et 12 Têtes Mortes (1995), avant que le projet n’opte pour l’appellation LTNO et livre entre autres un Global cut (1999) ou encore un Sea, sex & burn (2003) à avoir sur ses étagères. Emmanuelle activant, quelques années après, Dead Sexy Inc (Kamikaze, 2007).
Voilà pour la petite histoire et dans l’attente d’un coffret qui me fait piaffer d’impatience, fort de plusieurs heures de son hors-cadre, le vinyl régale son homme. Freaks ouvre les hostilités, l’électro-rock un brin gothique des Tétines Noires retentit avec classe et fuit, sans tarder, la classification. Batcave, death-rock, glam-rock, indus; le groupe touche à tout ça, mais il fait du Tétines Noires. Point, bien noir, à la ligne. En cela, personne ne peut lui être affilié. Les captains, rock’n’roll noir de glam aux guitares bavardes, aiguise à son tour notre appétit. Avant que Crazy horses, plus indus et théâtral, ne boucle la partie dédiée à Fauvisme et pense-bête.
On est déjà emballé, Brouette nous offre alors 2 de ses extraits; Hill house et ses brusques secousses, inquiétant, puis N & M (histoire de Lady Na), comptine glam aussi classieuse que déchirée. On succombe, le plaisir est d’autant plus grand que les 2 morceaux suivants (Lady memory, découpé dans un rock rentre-dedans qui se permet des accalmies bien tendues, et ce Head hole tout aussi offensif), tiennent sévèrement la route. La voix d’Emmanuelle, singulière, participant grandement à la grandeur -excusez la maladresse verbale- du rendu. On a alors tout juste abordé la face B et 12 têtes mortes va à son tour nous faire décoller, sous la houlette d’un Head horse qui amorce un virage clairement indus. On pense à Treponem Pal, par ailleurs proche des Tétines Noires, ou encore aux Swans. Qualitativement, on reste dans les sphères les plus hautes. Guitares guerrières, voix démoniaque et puissance de feu, il y a tout pour rallier le public, surtout le plus « bifurquant », à la cause d’Emmanuelle et les siens. On est là dans des eaux aux remous fréquents; Envers et contre tête, s’il se veut indus, inclut d’ingénieuses parties fusion/électro. Preuve qu’en touchant à tout, Les Tétines Noires ne plantent rien.
Je me rends alors compte que je ne peux, quand bien même c’est un « recueil » qui est décrit ici, que passer tous les titres en revue. Contaminé, je passe à Washing head et celui-ci me souffle à la face un groove électro-indus irrésistible. Les sons fous y pleuvent de toutes parts, on se fade même des encarts tribaux géniaux. Les guitares, une fois de plus, lézardent le bazar à grand renforts de riffs et interventions puissantes et inspirées. Car il faut aussi le souligner; l’inspiration, dans ce clan, est constante. Loin de faire dans la redite, on crée. Jamais linéaire, le registre ne livre aucune faiblesse. Superbe prélude à l’Intégrale, Analog Anthomologies nous offre 2 dernières perles; Teo tertem, où la voix plus que jamais dérive merveilleusement, dans la lignée des exercices indus « mais pas que » du groupe. Et pour finir le délirant Tête molle, dénudé, à la trame voix-guitare inédite et, du coup, précieuse dans l’oeuvre des Tétines Noires.
On l’aura compris, ces rééditions sont très certainement l’une des idées les plus judicieuses, s’agissant de la scène hexagonale, récemment émises. Outre le fait de remettre sur le devant de la scène un combo de haute volée, c’est tout un pan et toute une époque du rock de chez nous qu’elles font ressurgir. Un temps où tout était, de surcroît, plus facile et où la singularité giclait dans tous les sens. Puissent ces ressorties réinstaurer cela et dans l’attente du coffret, fébrilement espéré, je ne saurais que trop vous conseiller de vous ruer sur ce vinyl aussi beau que captivant dans ce qu’il dessert.