Projet instigué par Grégory J.Peltier (A Second of June), Johnny Tchekhova narre les tribulations, via Loubok (art visuel des paysans russes des temps anciens), du jeune Ivan (« Jean » en français – « Johnny » en anglais), fasciné par l’Occident, qui décide un jour de devenir musicien et quitte sa Sibérie natale, à l’aube des 90’s. Ici, chaque morceau se pare d’une illustration qui, par la grâce de Nastassia Bezverkhnyaya, « rénove » le loubok russe en le passant au filtre du Pop Art et de la BD.
Ca nous donne, au final, une oeuvre singulière, que ce soit dans l’idée, dans le procédé ou encore musicalement. L’album, superbe à entendre, expressif dans ce à quoi il renvoie, navigue en effet entre synth-pop rêveuse/enlevée (L’attraction Lili, La cassette), évocatrice, balafres cold (un excellentissime Aksinia) et spoken word (La lettre à Babouchka), sertis de sons imaginatifs et d’une discrète enveloppe kraut. Quand, à l’écoute, on se plonge simultanément dans le visionnage des illustrations, qu’on lit les textes, alors on croit en être; Ivan, c’est à ce moment précis l’auditeur. Il faut dire que Peltier, qui n’est pas né de la dernière pluie, dispose d’une expérience qui sert ses travaux et sait de plus s’entourer avantageusement. Sa plume est agile, ses intervenants (Nastassia Bezverkhnyaya elle-même au piano ou encore aux choeurs; Volga, issu de l’écurie Herzfeld dont provient le sieur Peltier himself aux voix; JT, Metacelse à la guitare sur l’amorce de The Tchekhovas) étayent Loubok avec brio. Le dernier cité, précisons-le, accompagnant « GJP » sur scène.
On voyage, soniquement, au gré des déboires du personnage principal. Moscopolitaine livre une cold-wave distinguée, La naissance de Johnny instaure la « mue » de celui-ci sur une note électro-pop à la fois céleste et déviante, par instants, dans le son. Aux Bains-Douches, aux contours rock mâtinés d’électro, fait rage dans ses tonalités mais aussi dans ce qu’il raconte. Loubok s’écoute dans l’ordre, contrairement à ce que je fais ici dans ma description de son contenu. On y colle ainsi parfaitement à l’épopée de notre homme, soulignée par les chansons du strasbourgeois talentueux. Lequel a eu l’idée de ce Loubok aussi un peu shoegaze, implanté dans des 80’s dont il tire le meilleur, un jour de sortie en vélo destinée, à l’origine, à « éviter de ne rien faire ». Grand bien lui -et nous- fasse, le résultat est étincelant!
Intimiste, mais aussi plus vivace (Parfum west coast, entre cold élégante et touches synth-pop acidulée dont les vocaux légers font sensation), il se démarque, en outre, de par son identité délibérée. Transfuge 2049 use de ces sons astucieux qui sont, aussi, un atout pour Johnny Tchekhova. Loubok est à la fois une histoire de vie (tiens, j’en parle comme s’il était devenu vrai), un trip sonore et littéraire, une pluie d’émotions qui s’achève par The Tchekhovas, 80’s oui, alerte, où les chants mêlés brillent. Le disque, qui fait suite à un premier EP appelé Les sentiments arbitraires I (décembre 2014), est une petite pépite à la sincérité nourrie par l’imaginaire de son auteur. A Découvrir Absolument, donc, pour reprendre les termes d’un autre webzine, à l’instar de tout ce que Grégory J.Peltier a pu produire jusqu’alors.