Duo nancéien à la base, partie intégrante de la scène indé jusqu’au bout des notes de notre pays, un brin culte, Double Nelson nous fait le plaisir d’un nouvel opus, sur le label Les Disques de la Face Cachée, après 2 disques en autoproduction. On l’y retrouve aussi inspiré et (génialement) délirant qu’à l’habitude et pour accentuer notre bonheur, il continue à faire valser les étiquettes. Erreur 89450, l’album, jongle ainsi entre errances sonores noise, électro, bruitistes, et voix déjantées telle celle qui amorce Deep way, le premier morceau de cet effort passionnant.
Toujours pas décidé, on s’en réjouira fortement, à faire dans le normé, Double Nelson joue un psychédélisme taré, bruyant au point qu’on en réclame, agité. Il s’agit là de son début; plus loin, Oooh à çà installe une électro sombre, donnant l’impression de se trimbaler dans la stratosphère. A chaque morceau, le voyage est de mise. Ne comptez pas sur les vétérans pour qu’ils se rangent; avec l’âge, au contraire, ils creusent le sillon d’une orientation sinueuse et capricieuse. Ca leur convient merveilleusement et du coup, ça fait notre bonheur. Love boat catapulte un rock sonique, Keep cool groove follement, balance sans prévenir des torrents sonores impétueux. On ne cherchera pas à qualifier ce que fait le groupe; c’est du Double Nelson (im)pur et dur.
L’attrait est tel, ici, qu’on pourrait s’arrêter à chaque titre en tentant, vainement, de le décrire. On pense vaguement à Liars pour le génie foutraque, par exemple, mais c’est Double Nelson qu’on entend. Vous allez tous…, leste et céleste, cold, continue à faire dans l’a-normal. A l’heure où des cargaisons d’albums polis et policés voient le jour, ça fait le plus grand bien. We got style, prétend l’un de leurs titres; c’est vrai et ce style, c’est le leur. Il n’est dû qu’à leurs cerveaux imaginatifs en diable. Sur le dit morceau, on s’offre d’ailleurs une épopée psychotrope qui, comme l’intégralité de la rondelle du duo, nous marquera. Double Nelson joue avec les sons, déconstruit, bousille les genres. Aussi percutant que nébuleux (We work), il fait preuve d’une inventivité mille fois supérieure à celle de formations prétendument douées, hâtivement mises en avant sur le plan médiatique.
Le groupe, lui, n’en a cure. Si exposition il y a, elle sera réservée aux initiés, à ceux qui, comme eux, cherchent autre chose. Saxman joue un jazz free maison, A spoon to the moon crache des vagues de sons excessifs. On en « reveut »; Double Nelson, après tant d’années d’exercice, pourrait sonner daté, se reposer sur ses « lauriers », s’essouffler quelque peu. Il n’en est rien; il continue, encanaillé, à désorienter, et n’a pas pris une ride. C’est le propre des meilleurs, T’en auras pas emprunte lui aussi un chemin torsadé, fort d’un groove auquel personne ne saurait résister. C’est du bricolé mais l’artisan est fort. Nul besoin d’une panoplie étendue pour bien faire; idées à la pelle et esprit malin suffisent, couplés à une attitude résolument indé.
Erreur 89450 est de la trempe des disques qu’il faut écouter et réécouter; il nous gagne et nous réserve, à chaque exploration, des sensations fortes, nullement surjouées. I’m not in love II, qui conclut l’affaire, prenant des airs de balade torturée, à la fois belle et dégingandée, en final d’un album magistral.