Les Frères Tyran, rassurez-vous, ne font pas dans le festif comme leur nom aurait pu le faire craindre. Frangins effectivement, tous 2 armés d’une guitare, de leur voix et d’une vision lucide du monde qui nous entoure et nous atteint, ils ont la bonne idée de regrouper ici leur premier LP (L’Organisation) et l’Ep (Démon) qui s’ensuit. Leur rock est écorché, à l’image de la vision sociétale qu’il véhicule, et peut évoquer un Michel Cloup dans ses options acérées et dénonciatrices. Les machines sont bien intégrées, basse et batterie amenant les rythmes qui, greffés aux trames bien foutues des 2 Tyran, nous feront adhérer. Dans la durée et sans faire dans le maniéré. Parce qu’on n’a a pas à faire, ici, à des manchots. Rugueux, ils varient entre rock aux ruades noise, électro, voix narratives aux tons multiples et colère exprimée, sur ce « recueil », avec force.
Les frères Tyran, qui inaugure le bal (des enragés?), impose un format court de teneur rock délibérée. La femme objet et ses encarts électro (notons l’apport des sons, bien imaginés), ses traces fuzz et chants fiévreux, au verbe qui dévie puisqu’il naît de la vie, prouve ensuite que les 2 mecs, animés par un esprit DIY bien campé, regorgent de ressources. Leurs organes vocaux expriment des ressentis variables; sur fond tendu avec L’organisation, ils se font moins assénés. On raconte le quotidien, ses amours et désamours, ses errances et espérances. Le rendu est crédible, les 2 Tyran(s) n’étant visiblement pas nés de la dernière pluie (de décibels) et disposant, outre leur regard aiguisé sur notre « joli » monde, d’une solide expérience.
On les estime, aussi, pour ces essais au carrefour des styles. Ainsi, La pointeuse souffle une cold-wave qui honore la scène française des late 70’s et des early 80’s. Frankenstein 19 suit, dans une veine noise à la Virago. Les mots sont forts, urgents ou plus déliés. Eric et Thierry, fratrie unie dans le son, livrent un labeur abouti. Génération code braille le fait qu’au final, nous sommes…des numéros. Des chiffres, au détriment d’une réelle identité. L’identité, ils l’ont: sonique et remontée, elle se joue des chiffres (surtout ceux des ventes). Ce sont plutôt les lettres, sur le disque, qui sont à l’honneur. Prises dans un rock belliqueux, elles n’en ont que plus de relief encore. Au poste!, giclée post-punk digne d’un Wire, avec des breaks brefs, balance ses syllabes dans la trogne des dirigeants. Avant que Colonel Moutarde, à l’électro-rock piquante et délirante, n’en remette une large couche et crédibilise à son tour l’effort de « Thierric« .
On attaque alors la partie EP, après un LP sans défauts et loin d’être faux. On va tous crever, tiens, me fait penser à Kill the Thrill, voix exceptée. On va tous crever, dit-il donc. Mais il nous fait vivre et son rock bourru, émaillé de sonorités mélodieuses, surligne notre ire. Les guitares débordent, jouées avec intensité. Les Frères Tyran dépeignent le monde actuel pour, peut-être, en imaginer un nouveau. Où, hors d’atteinte, on vivrait dans l’unité et une certaine forme de prospérité. Si l’idée semble utopique, la frénésie d’un En direct permet en tout cas de fuir l’hypocrisie ambiante. « Les gens applaudissent » le termine; on applaudit aussi, de notre côté, le boulot du duo. On secoue la tête une dernière fois au son de Démon, instrumental étendu (près de 10 mns), orage sonique entre rock noisy, post-punk et tonalités un brin kraut. Un peu indus dans la répétition de ses sons, obsédants, aussi. Entre Démon (intérieur) et Organisation (machiavélique, Etatique, les 2 vont d’ailleurs de pair), les Frères sont à leur affaire. Ca fait du bien à entendre et bonne nouvelle; ils ne sont pas les seuls, loin s’en faut, à nous servir des alternatives discographiques louables à la déliquescence dont nous faisons l’objet.