Après un Bruits de Lune brillant, avant Curtis Harding prévu ce dimanche 17 (ça permet de situer le programme actuel sur l’échelle de l’excellence), la Lune des Pirates offrait à ses inconditionnels, en ce vendredi, une affiche rêvée pour ceux qui, éloignés des circuits traditionnels, recherchent la nouveauté et fuient le trop poli. Au programme s’inscrivaient en effet Working Men’s Club, Anglais au post-punk remonté, entre The Fall et le Killing Joke de la première heure, et Camilla Sparksss, Canadienne à l’électro-punk qui, sur scène, dépasse de loin les versions album, déjà exquises.
Il était donc impératif, une fois de plus, de braver les éléments contraires, météorologiques cette fois, pour venir prendre place dans l’ancien entrepôt de bananes du quartier Saint Leu, en longeant une enfilade de restaurants pour le coup étonnamment vides. Ce type de groupes ne joue en effet,en général, qu’une fois dans le secteur ou alors, c’est à plusieurs années d’intervalle et on est alors au regret de n’avoir pu, ou su, être présent sur leurs lives. Mais je divague, j’étais de toute façon présent et Working Men’s Club, aussi jeune que déjà mûr, vient faire la nique à The Faint (égalé lorsque retentit l’énorme Teeth, en fin de set) tout en tutoyant la portée des influences qui sont les siennes. Brut mais aussi tempéré, classieux et rentre-dedans, le quatuor dénué de batteur s’en sort avec bonheur. Il nous refile un live dont la brièveté n’a d’égale que l’efficacité, ne s’embarrasse pas de blah-blah et a visiblement investi l’espace Lunaire pour nous servir, sans chichis, une brouettée de morceaux achevés, à la limite de l’impeccable.
Si la base est post-punk, on touche à la cold-wave, aux élans funky secs d’un Gang of Four, et on crédite au final la « Lune » dans son rôle de pourvoyeur de découvertes. Celle-ci en est une, on ne peut le contester, et elle donnera tout à la fois raison aux ponctuels et tort aux retardataires. En a peine 45 mns de concert, Working Men’s Cub aura généré des sensations plus fortes que d’autres en 1h30. On les en remercie, ils ne s’attardent pourtant pas et nous laissent avec dans la caboche le souvenir d’un son trop bon.
Camilla Sparkss, active aussi dans Peter Kernel avec son acolyte suisse Aris Bassetti en tant que Barbara Lehnhoff, vient alors s’installer. Le contenu de ses 2 albums laisse présager d’une électro tantôt rêveuse, tantôt plus enlevée, un brin punk, un peu expérimentale. Mais c’est mal connaître la dame de l’Ontario qui, seule avec ses machines et ses vinyls, va littéralement transcender son répertoire. En sorcière d’un son percutant, qui ira jusqu’à flirter avec l’électro-indus à la Young Gods (tiens, ils sont Suisses comme…Peter Kernel), en tigresse vocale aussi, elle bluffe et secoue un public ébahi, gâté dans le sens où Camilla, armée de plus d’un humour désarmant, donne une véritable seconde peau aux morceaux de For you the wild et Brutal, ses 2 opus forcément chaudement recommandés. La puissance du son est ébouriffante, l’impact de ses versions au moins autant. Le genre n’est de plus jamais immuable: électro, indus, planant et frontal, syncopé, parfois mélodieux, le jeu est large. On retrouve d’ailleurs, dans sa performance solo, le même type de saccades porteuses que dans ses essais avec Bassetti.
Je suis pour ma part aux anges, fan depuis le début de ce que l’artiste entreprend autant seule qu’avec Peter Kernel. Je ne suis pas seul dans cette béatitude; La Lune toute entière m’y rejoint. A l’instar de ses « ouvreurs », Camilla privilégie l’impact, use de la scène comme d’un exutoire. Et elle sait s’y prendre. Elle nous laisse un peu pantois, son côté jovial ajoute à l’effet déjà élevé émanant de son live. Au point qu’à mon retour à mon domicile, c’est pour le coup un autre élément contraire que j’ai bravé -le désordre-, cherchant laborieusement pour ensuite les écouter jusqu’à pas d’heure les albums de l’intéressée.
Photos William Dumont.