Conçu à Château Rouge, né à Matongé, Bantou Mentale inclut le batteur Cubain Kabeya (Staff Benda Bilili, Jupiter & Okwess), le guitariste Chicco Katembo (Benda Bilili itou), le chanteur Apocalypse, figure de la scène congolaise de Paris, et Doctor L, né en Irlande et ayant grandi à Paris, qui est passé lui par Assassin, FFF, Psycho on da bus ou Tony Allen, ceci en tant que musiciens ou producteur.
Ce premier album, éponyme, est donc et en toute logique africanisant, riche et varié, sans identité précise où plutôt résultant des identités, fortes, de ses membres. Tribal, bluesy et funky, parfois griffu, il dévie et ses écarts me font penser à Funkadelic pour la liberté de ton affichée et assumée. C’est ce qui fait le pouvoir d’attraction du disque que Zanzibar, pour ouvrir, place déjà sur des pistes sinueuses. Le rendu est aussi fin qu’intense, subtil que rageur. Soniquement, la bande est inventive; électro sombre tentée de post-punk « dubisé » (Hallelujah) ou même dub sur Suabala, alors que Boko Haram mêle sons intrigants…reggae-dub et voix complètement dépaysantes. Il est difficile, voire impossible, de classifier l’opus. L’écoute en révélera par contre, mais pas de suite, les multiples richesses. On entend du blues, désertique; Papa Jo délivre une complainte qui ne cesse de fuir la norme, suivi en cela par Suabala. Dub comme dit plus haut, le dit titre serait aussi, après « dissection », dubstep et psyché, doté d’ouvertures électro tarées aussi. Le phrasé est même, ici, presque ragga. Tout cela, assemblé, donne un genre sans nom. C’est dansant, en tous les cas, et les écoutes répétées, destinées à « ingurgiter » Bantou Mentale, pourraient bien donner l’envie d’y revenir. Souvent.
C’est chez Glitterbeat, signe de différence valeureuse, que le groupe est signé. Rien d’étonnant à cela; Château Rouge, funky-tribal, continue à signifier son louvoiement stylistique. On se pose un peu, dans l’énergie déployée, avec Boloko. Quoique. Psych-blues envoûtant, sulfureux dans son élégance, il prend lui aussi la tangente. Syria arrive ensuite, fort d’envolées sonores bien senties. Son écoute fait surgir dans mon esprit le souvenir du fabuleux Free your mind…de…Funkadelic. L’expérience, ici, n’est pas loin d’être aussi poussée. Dans l’esprit, en tout cas, elle est quasi similaire. Magnifique maestro, avec des sons encore une fois trippants, dépose un reggae qui dépasse son genre. Les 3 noirs et le blanc font une musique sans couleur dominante, multicolore pourrait-on dire, dense et exigeante.
L’expérience, déclinée sur 12 titres au total, se poursuit donc avec Yoka chagrin. Il y a là des élans dub, des notes blues et le chant s’inscrit, à nouveau, dans des tons très africains. S’il paraît hétéroclite, le disque se laisse pourtant « dompter » si on s’en donne la peine d’en découvrir les recoins. Il ne peut laisser, c’est indéniable, indifférent. Bakoko, acidulé, pimenté, exhale une sorte de funk-rock syncopé, effluves psyché à l’appui. Le malaxage des genres est audacieux, il groove et se permet des détours que Bantou Mentale maîtrise suffisamment pour éviter l’excès dommageable.
Ingénieux, délibérément hors-normes, il achève son errance productive au son de Sango, que je chercherai pas à catégoriser. Bantou Mentale étant de façon certaine l’une des sorties récentes les plus poussées en termes de fusion d’éléments disparates, l’une des plus prenantes aussi, qu’il m’ait été donné d’écouter.