Prolifique artiste de la structure L’Eglise de la Petite Folie, le Centredumonde de Joseph Bertrand continue, allègrement si l’on peut dire, à dépeindre la face grise du quotidien. Entre pop, folk et chanson parlante assortie d’élans new-wave, il sort ce Tigre, avec états d’âme (effectivement) qui, en dix titres, drapera son auditoire dans une chape de mélancolie mise en mots, et en sons, avec adresse.
Si le tempo y reste la plupart du temps bridé -on trouvera ici peu d’envolées fiévreuses-, l’étoffe est belle. Le propos aussi; lucide, sans fard et réaliste, il « contre » en cela le discours jubilatoire ridicule de la frange « musicale » commerciale de l’hexagone. Aussi lent que le Mexique, en ouverture, débute de façon lancinante pour ensuite hausser le ton. La sobriété du décor n’a d’égal que le désenchantement du verbe, qu’on retiendra. Plutôt que d’appuyer là où ça fait mal, il a au final valeur d’exutoire. Il n’empêche, le disque de Centredumonde n’incite pas non plus, loin s’en faut, à sortir les cotillons. Il panse. Saint-Sébastien-sur-Loire, dénudé, illustre avec joliesse la procédé de Bertrand, où président retenue et minimalisme. C’est dans le mot, en revanche, qu’il se permet de dévier. La batterie de la plage suivante, Les animaux empaillés dans ton regard, met de la vie dans son ouvrage, la brièveté du morceau n’entrave pourtant pas son impact.
De la rhétorique du bonhomme, on retiendra ici beaucoup de choses; « On ne vieillira pas ensemble », par exemple, sur la chanson du même nom, et autres « réjouissances » que le talent de Centredumonde fait passer non pas comme une lettre à la Poste, au vu de l’état actuel de la structure de distribution, mais avec…bonheur. Il y anime de plus sa diction, le refrain est chanté avec légèreté, à 2, malgré son constat négatif.
A mi-chemin du disque, Noyade caractéristique vit lui aussi, sur une tonalité guillerette et résignée à la fois. On finit par s’imprégner du contenu, qui n’a pas besoin d’en faire des tonnes pour toucher celui ou celle qui aura poussé l’écoute du joli digipack à la pochette gris-noir très seyante. Quelques encarts plus « sales » venant lézarder un étayage plutôt, au départ, soigné. La perspective mouchez, aussi…lent que le Mexique, évoque une jeunesse qui ne fait pas rêver, « des immeubles gris rongés de névroses, que la lumière n’enjolive jamais ». « La vie se passe très bien de moi », « Je danse sur ma propre tombe »; sur fond sombre, Bertrand sombre.
L’humeur inhérente à son disque est de celles qui, chevillées à l’âme, ne trompent pas et dévoilent quelqu’un qui ne triche pas. La vérité du verbe pousse à l’écoute et parfois l’instrumentation, discrète, s’efface presque au profit de la diction. A d’autres endroits, elle se sous-tend puis s’envole (Bristol) sans perdre de sa finesse et encore moins de son ton ténébreux. Ce morceau, new-wave entraînante, est excellent à l’image de Centredumonde dans son registre sonore et grammatical.
Perdita, où Agnès Claverie intervient au chant, insuffle un surplus de grâce dans le désabusé. Centredumonde excelle dans cette démarche et se livre, se met ici presqu’à nu. A tes yeux endormis glace par son texte; une fois de plus, le grave est décrit selon une mélancolie presque, mais pas, heureuse. A la mesure du vent, aux motifs bien choisis, un brin cold, terminant l’ouvrage de belle manière, en final vrai et plutôt alerte d’un opus qui sonne et donne l’alerte pour, à l’arrivée, nous faire vivre plus intensément encore ce que nous ne sommes pas.
Photo Matthieu Dufour.