Fer de lace d’un mouvement post-punk et cold-wave plutôt bien représenté, depuis un moment, dans l’hexagone, Frustration en arrive avec ce So cold streams à son 5ème album. Soucieux de s’éloigner de sa zone de confort, il y reste fidèle à lui-même tout en innovant quelque peu, par le biais entre autres de l’inclusion du Français dans le chant, qui ne dénote aucunement, sur 2 morceaux, mais aussi en lorgnant du côté d’une pop assombrie pleine de classe (Lil’ white sister). Avec succès.
S’il débute par un Insane…insane, charge électro-punk teintée d’indus dans son obsédante répétition, qui lui assure une esquisse déjà probante, et conserve sur ses neuf titres une force de frappe qu’on ne niera pas, Frustration ne se fige pas. Ici, des choeurs sauvages mêlés à des « la la la » génèrent un beau contrepoint entre le « Insane » répété à l’envi et le ton guilleret de ces « la la ». Les motifs sonores, c’est récurrent dans le groupe, sont de taille. Puis Pulse, urgent, riffe avec ardeur, en essai post-punk compact et rentre-dedans. On retrouve sur So cold streams cette tension inhérente au combo de Fabrice Gilbert et les siens, plus que jamais cohérents.
Plus loin, Slave markets va surprendre en adoptant un ton allégorique et en convoquant James Williamson, de Sleaford Mods, au chant. Le duo mancunien ayant été, des dires du groupe lui-même, un détonateur pour lui en termes de capacité à dire les choses, à se libérer complètement. On le sent d’ailleurs libre, en attestent les chemins inédits pris ici. La diction de Williamson, caractéristique, apportant au morceau une dynamique, et une narration lucide, qu’on prendra forcément en compte.
De poussées puissantes en tonalités plus mélancoliques, un équilibre se crée. When does a banknote starts to burn se rangera dans la catégorie d’un Pulse. Il…pulse, justement, et gicle une vigueur post-punk salvatrice. A l’unisson, Frustration poursuit avec brio un chemin entamé, « à l’époque », en affichant de belles promesses. Celles-ci sont tenues et à mi-chemin de l’opus, Brume étonnera par sa trame indus chantée avec rage dans notre langue. Le quintet Bornbadien a plus d’un tour sans son sac, il le démontre et le procédé élargit son champ d’action sans porter atteinte au rendu, brillant. Dans la foulée retentit ce Some friends où les claviers jouent des sons brefs et récurrents qui entêteront. L’impact est fort, l’énergie jugulée, avec à propos, ou plus directe. Dans l’option modérée qu’il choisit ici, Frstration fait à nouveau merveille. Et le Lil’ white sister cité plus haut, taillé dans une « cold-pop » magnifique, enfonce le clou. Subtil et ombrageux, il illustre joliment l’aptitude des parisiens à se renouveler en demeurant complètement intègres.
Restent alors 2 morceaux à s’injecter; Pepper spray se présente, sa basse fera bouger les bassins et ses penchants directs remuer les cranes. On les aime, nos Frustration, dans ces giclées d’énergie pure et là, ils installent un break judicieux pour ensuite réinstaurer une furia incoercible.
Enfin, c’est Le grand soir, en Français dans le texte, qui vient conclure dans une cold-wave millésimée, au discours lui aussi louable, un album de choix jusque sur sa pochette, oeuvre de l’artiste peintre Baldo, « as usual », qui laisse à voir une machine goudronnant une route à travers un champ de blé. La route de Frustration, elle, se poursuit de superbe manière avec So cold streams, assurément un disque qui fera date dans l’histoire du rock de chez nous tout en talonnant sans fléchir les pointures étrangères.