Groupe d’Istanbul au mélange relevé et savoureux, Baba Zula propose à chaque album un trip définitif à base de psyché Anatolien couplé à des effluves dub et kraut. Ayant derrière lui une discographie déjà solide, il sait faire et parvient à maintenir une qualité optimale.
Avec ce Derin derin, force est de constater que les Turcs, à la recette personnelle, embarquent d’emblée leur assemblée. Le folklore typique de Haller Yollar / Ways & Circumstances hisse le groupe un cran au dessus de la mêlée, sons racés et voix à l’expression forte font effet. Musicalement, on est dans la passion, dans le décalé aussi: les genres y sont conjugués avec tant de dextérité qu’à l’arrivée, on se trémousse sans pouvoir identifier le rendu. Tant mieux, on aime l’inclassable et Baba Zula, ici, nous en refile de grandes lampées. Şahin Iksiri / Falcon Potion réitère des sonorités dansantes au charme rétro; court, il laisse place à un majestueux Kızıl Gözlüm / My Scarlet Eyed, à la fois subtil et riffant. De l’écoute émane une sensation de bricolage génial. Des incartades dub font valser les essais. Des touches funky bien barrées, aussi, relèvent un menu déjà épicé.
Impossible de décrocher; s’il m’a fallu 3 écoutes pour saisir le tout, Derin derin ne trouve guère d’équivalent dans les productions actuelles. Rüzgarın Akışı / The Flow Of The Wind et son amorce Turquisante à souhait donne le tournis, le saz y apporte comme partout ailleurs une coloration enivrante. On notera au passage que l’album sort chez Glitterbeat, gage certain de différence et de qualité. Les vagues électro/hip-hop dans le rythme de Salıncaksın / U Are The Swing, alliées à une voix toujours aussi typée, à ce saz qui jamais ne nous rase, font du bien aux oreilles. Un groove dub fait décoller le morceau en même temps qu’il le leste. On pousse le volume pour faire ressortir les sons fous du disque, addictifs. Kervan Yolda / Caravan On The Road, bluesy-funky à la sauce Anatolienne, dotée d’un chant grave, porte lui aussi ses fruits.
Livré à une expérience profitable, on s’offre ensuite Port Pass, bref morceau bluesy trituré, aussi psyché que groovy. Baba Zula ne fait jamais les choses de manière convenue,il le prouve derechef avec Kosmogoni, court lui aussi, qui souffle une trame psyché céleste et troublée. Kurt Kapma / Eagle Gets Wolf, dérangé, lui succède en imposant des sons déments. Puis il sonne la charge en bombe garage-kraut complètement folle. Affublé encore une fois d’un album indomptable, Baba Zula fuit les catégories. Avec Transendance, il finit sur un dub sulfureux, de haute volée, dont s’extirpe bien entendu des ritournelles de chez lui et dont la fin sombre dans la folie. Derin derin, c’est une certitude, est un album appelé à être usé jusqu’à la corde, ne serait-ce que pour son procédé singulier aux effets durables et saisissants.