Groupe bruxellois formé en 2011, Yôkaï sort avec ce disque éponyme son premier album, celui-ci faisant suite à un EP datant de février 2015. Constitué de huit multi-instrumentistes venus des scènes jazz, rock et musiques improvisées, il joue logiquement, sur son oeuvre, des trames libres où se télescopent jazz, rock psyché, kraut et tout un tas d’autres éléments qui, imbriqués, donnent du sens à l’ouvrage. Et pas mal de profondeur.
Ainsi, on démarre avec Plutonia en territoire jazzy bien sûr, mais parsemé de sons dépaysants, de traits rock retenus. Le morceau donne déjà une coloration inédite, suinte un jazz très « hybride » qui n’ennuie pas. On appréciera car le créneau est « strictement jazz » parfois lassant. Ce n’est ici pas le cas; Yôkaï anime son jazz, le fusionne avec d’autres pièces musicales. L’opus est un puzzle cohérent, dont Daphné accroît la singularité avec son intro obscure qui se prolonge et explore des contrées inconnues. Défricheuse, la formation belge suit bien entendu des sentiers très peu balisés. Il faut suivre, on n’en disconviendra pas, mais le voyage vaut la peine d’être vécu. Argo mêle jazz et motifs indescriptibles. Montées rock et breaks bien sentis voisinent allègrement. Il y a là, aussi, un feeling funky certain.
L’objet aura pour mérite d’amener un public réfractaire à s’intéresser au jazz. Joué sous cette forme, il force l’écoute. Euonymus développe un canevas sombre, doté de sursauts et de déflagrations. Ses sons obsèdent, sa cadence galope et ses riffs griffent. L’identité de Yôkaï n’en est que plus marquée encore. Sur Petit indien n°3, délicat, des voix surgissent. Douces, elles ornent joliment la plage, rêveuse et plutôt accessible. Ce faisant, un contraste est créé avec la complexité ingénieuse de ce qui précède. Puis Opuntia, qui impose un jazz à nouveau déviant, gris et soniquement polisson autant qu’inventif, renforce l’attrait de l’album.
Entre finesse et atours « dark », Yôkaï trouve sa propre posture. X le voit errer à nouveau mais ce sont en l’occurrence des élans rock, alertes, qui bordent le morceau. Tout en dégageant des effluves un tantinet psyché, prises dans un rythme appuyé. Qu’il « fonce » ou opte pour des formats plus retenus, Yôkaï se distingue. Il est alors l’heure de conclure; Digitaline le fait avec subtilité, suivant un cheminement jazz, certes, mais jamais restreint à cet unique atour. Pour un résultat exigeant, c’est avéré, mais digne d’être exploré au fil d’écoutes immersives.