Ecouter le Michel Cloup Duo, tout comme le voir sur scène, c’est la garantie d’une chronique sociale aiguisée, à la lucidité confondante. Avec, comme point d’ancrage, la frappe de son acolyte Julien Rufié, l’homme aux projets multiples, et tous porteurs, narre en effet la dérive de notre ère et, par ce bais, nous donne un bon bol d’air, aussi pur que pollué par plusieurs décennies viciées. A ceci près que pour ce Danser danser danser sur les ruines, dont l’intitulé annoncerait presque le désir de laisser poindre l’espoir (un superbe Le futur dans tes yeux, parfaite illustration de ce constat, où le toulousain entrevoit, à travers les yeux de sa fille adolescente, un avenir radieux), notre homme malmène l’utopie, sans l’éliminer, pour laisser place à une vision plus « enjouée ». Ce jour là, j’ai vu, le futur, dans tes yeux, et il était, bien plus heureux, qu’prévu. La sentence est magnifique, elle émeut et surtout, elle dévoile un être moins désenchanté. Il en aura fallu du temps, pour enfin basculer, du côté, des gagnants, dit aussi son morceau inaugural, Gagnants. De toute évidence, le propos est plus léger, le groove « maison » toujours de mise et le verbe superbe. J’ai rangé ma colère, à l’abri, prétend t-il sur Amnésiques heureux, suivant un format qui pulse finement et, à l’instar de beaucoup d’autres, génère l’addiction. Le tout sur fond d’ironie quant au monde actuel, à la fois attrayant et répulsif.
C’est une évidence; le contenu, enfanté à deux, fera beaucoup de bienheureux. Leste et riffant (Les invisibles), manifeste et puissant, il expose une alchimie, parfaite, entre deux êtres. Semblable à aucun autre, il contribuera à nous faire accepter l’autre. On pourrait s’imaginer, danser, danser, danser, danser sur les ruines, d’un passé à jamais…résolu, clame-t-il encore. On pourrait, oui, et l’intensité des guitares qui ornent le morceau met en évidence, malgré cela, le fatras de notre époque.
Arrive alors Le futur dans tes yeux, où Michel Cloup évoque un humour aiguisé, arme précieuse face au dérives sociétales, et comme dit plus haut la possibilité d’un futur heureux et non pas peureux. Un essai, et un mot, marquants, inspirés par une jeunesse dont l’un des nombreux atouts est de permettre un fuite du réel, une échappée vers un avenir qui ne relèverait plus du pire. En ne pensant à rien parle, d’ailleurs, d’espoir jamais crétin. On trouve, ici encore, une forme d’espérance, de croyance en l’union, dans la capacité à s’unir à nouveau. Et c’est beau. L’ornement musical est d’ailleurs subtil, et semble ne tenir qu’à un fil. L’album transpire la vie, la vraie; pas celle de Netflix.
Le jour d’après nous y ferait presque croire, à ces jours d’après après lesquels on ne courait plus. Et bien au-delà est à la fois subtil et tendu, animé de soubresauts bruitistes. Sa tourmente sonore, son alternance entre parties saccadées et cadence plus marquée, laissent une trace indélébile. Soniquement comme humainement, le nouvel opus du Michel Cloup Duo est une pépite qui jamais ne s’effrite. Il ondule irrésistiblement (Les vrais héros ne meurent jamais, hymne merveilleux à la musique, écrit le jour de la disparition d’un de ses représentants les plus authentiques et insoumis: Mark E.Smith de The Fall. Tiens, je suis fan de ce groupe. Comme de ce disque). Un essai à la croisée des genres musicaux, parfaitement imbriqués. Long et obsédant. Un hymne? Oui, je le crois, j’y crois autant qu’il louvoie.
S’il est vrai que Les vrais héros ne meurent jamais, alors on se souviendra, longtemps, de Michel Cloup. Il peut ainsi, en clôture d’un essai qui évoquera en sa fin le décès, rendre hommage à deux vieux amis en proie au deuil (Nous perdre dans nos rires). L’hommage est superbe, il tente avec brio d’atténuer la douleur de la perte. Et marque, avec tact, l’impact d’épreuves ici habilement allégées.